François Chartier, l’incorrigible curieux créateur d’harmonies
Au grand déplaisir de sa mère, il se plaît à dire « qu’il a été élevé au Kraft Dinner et au Kik Cola ». Une façon d’avouer que le vin ne faisait pas partie du quotidien de sa famille dans le quartier Villeray de Montréal. Aujourd’hui , cet alchimiste du vin, ce créateur d’harmonies est devenu la référence en matière de sommellerie moléculaire. Et il y a peu, François Chartier a lancé une gamme de vins et bières. Un parcours hors du commun pour ce maître des arômes.
(Pour en découvrir davantage, écoutez l’entrevue audio à la fin de l’article).
François Chartier se destinait à étudier l’architecture comme son frère aîné. Mais en 1982, lors d’un travail d’été, sa vie, probablement, bascule lorsqu’il travaille à Tremblant comme aide-serveur (busboy). C’est là qu’il gagne la piqûre de la restauration. Oubliée l’architecture, il se lance 3 ans plus tard en affaires en ouvrant un bistro de bières importées à St-Jovite. Mais la bouteille de vin n’est jamais très loin, et elle gagne même du terrain dans la vie de François Chartier. En 1989, il s’initie alors à la dégustation du nectar de Bacchus. La suite appartient à l’histoire. Celui qui séchait les cours de chimie, va obtenir alors quelques années plus tard, en 1994, le titre de meilleur sommelier du monde au concours Sopexa à Paris et va devenir un des pionniers de la sommellerie moléculaire.
Celui qui a plus de livres de cuisine que de livres sur le vin a voulu découvrir la pensée de grands chefs tels que Ferran Adrià du restaurant espagnol « El Bulli »qui alliait cuisine et science du goût. Cet autodidacte de l’oenologie a voulu alors aller beaucoup plus loin que ses lectures. En 2002, il prend une année sabbatique. « Pour créer et avancer, faut pas copier », dit-il. C’est alors qu’il bosse sur ce qu’il appelle « la zone de confort harmonique », sorte de mariage parfait entre les arômes de la nourriture et ceux du vin. « J’appellais pas ça une science, juste des agents de liaison harmonique, donc olive noire avec syrah, gewurztraminer avec gingembre, et menthe avec sauvignon blanc ». Commence alors pour lui une véritable quête de la compréhension de ces liens chimiques parfaits. Et sa rencontre avec le docteur Richard Béliveau va entre autres accélérer la suite des choses. Il se lance alors dans la recherche des ces fameuses molécules d’arômes et de goûts. Il publiera son opus majeur, « Papilles et molécules ».
Les vins Chartier
Après la publication de ses guides d’achat (qu’il cessera en 2013), il se concentre dès lors au lancement d’une gamme de vins, les « vins Chartier, créateur d’harmonies ». « Chaque étiquette de cette gamme de vins illustre les aliments appartenant à la famille aromatique à la source de la création de chacun d’eux, tout en donnant les clefs pour cuisiner et réussir les accords à table ». Le succès populaire et auprès des critiques est au rendez-vous. On y reconnaît la mission « d’éducateur des papilles » et de la sensibilité culinaire aux arômes.
À ce propos, il note un réel cheminement du consommateur québécois depuis les 30 dernières années. » Une ouverture qui , dit-il, a commencé avec l’Expo 67 où les Québécois découvraient entre autres les autres cuisines, et qui s’est poursuivie avec l’arrivée de chefs et de sommeliers européens venus s’installer à Montréal ». La suite, c’est le raffinement et l’exigence de toujours découvrir des consommateurs d’ici qui ont fait changer le visage de la restauration et de la sommellerie, en traçant la voie aux Véronique Rivest de ce monde. (ndlr: Véronique Rivest est devenue la deuxième meilleure sommelière du monde au prestigieux concours de la profession au Japon l’an dernier). Ces jours-ci, François Chartier a en tout cas le vent en poupe, il travaille sur la suite de « Papilles et Molécules » et est à l’affiche du film documentaire « Le Nez » de Kim Nguyen. Il semble bien que rien ne semble arrêter cet incorrigible curieux qui veut sans cesse apprendre et innover dans une profession qu’il a , d’une certaine façon, lui-même inventé.
Questions en rafale
Le premier vin qui a changé votre vie ?
En 1986, dans un bar à vins à Trois-Rivières, un vin australien de 1982 de la région de Coonawarra : le shiraz de Lindemans Limestone Ridge.
Le plaisir coupable inavouable ?
À part le tonic et le ginger ale, seules boissons gazeuses que j’aime, je dirais la root beer de chez A& W parce que ça me rappelle mon enfance !
Le vin que vous amenez sur une île déserte ?
Sans hésiter : un vin jaune du Jura, parce qu’il n’y a pas de cave à vin sur une île déserte, donc le vin jaune est le seul vin qui va rester tel quel, même longtemps après qu’il ait été ouvert. En plus avec les arômes d’érable, cela me permet de rester connecté avec d’où je viens.
Le dernier repas, avec qui et que buvez-vous ?
Inévitablement avec Albert Einstein, un être rempli de folie et d’intelligence. Peu importe ce que je mangerais ou boirais, c’est juste pour l’occasion unique. Ou alors pour choisir quelqu’un qui est toujours de ce monde : Stephen Hawking, pour apprendre de sa force de vivre
Quelle musique écoutez-vous en ce moment ?
Je suis très jazz et j’écoute beaucoup de flamenco. Pour l’instant, j’aime bien Ibeyi , deux jumelles franco-cubaines qui font un mélange de folk, lounge, et contemporain. Aussi, le Québécois Matthieu Désy et son album « Contrebasse et marées ».
Ou peut-on trouver le vin jaune du Jura a Vancouver ?
Dominique A.
On peut en trouver certains dans les BC liquor stores. Une visite chez Liberty Wines est probablement nécessaire…