Philippe Lapeyrie, le « sommelier du peuple »
Je ne vous dirai pas que Philippe Lapeyrie gagne à être connu…parce que tout le monde le connaît ! Tout le monde l’aborde comme s’il faisait partie de la famille depuis des lustres. Lapeyrie, c’est celui qu’on aimerait avoir comme ami. Le « bon Jack », hyper généreux de son temps, passionné par ce qu’il fait, qui nous indique quoi boire et surtout qui nous incite à profiter de la vie. Parce qu’on a qu’une et que le sommelier tatoué en connaît la valeur. Phil Lapeyrie parle ici de son papa, qui s’est enlevé la vie, alors que lui n’avait que 3 ans…
Par Frédéric Arnould (lefred@toutsurlevin.ca)
Se promener dans la rue avec Philippe Lapeyrie, c’est comme un parcours du combattant. Il ne se passe pas une minute sans que quelqu’un ne l’approche pour lui serrer la pince ou prendre un selfie avec lui ou lui dire que le vin qu’il a recommandé à la radio et sur TVA qu’il était « ben ben bon ». De plus, quand vous tentez de le suivre au festival du vin à Saguenay, cela relève plus du parcours d’obstacles. Ses inconditionnels fusent de toutes parts pour saluer « leur » sommelier préféré. « Sur le coup, t’as une espèce de dose d’amour, de gentillesse.
Fils de « pieds-noirs » d’Algérie, Philippe Lapeyrie est presque tombé dans le raisin quand il était petit. « Dans les années 60, ils se sont installés à Calvi dans les montagnes de la Corse. Mon oncle avait un domaine de 72 hectares et une cave coopérative. Donc à 5-6 ans, je ramassais des grappes de muscat, on peut pas dire que je vendangeais parce qu’en mangeais plus que j’en ramassais…Mais je posais beaucoup de questions, j’avais déjà la curiosité d’un « tit-cul » qui s’intéressait à tout et qui voulais savoir, puis, la géographie m’intéressait beaucoup. Donc chaque été, on les passait là-bas. »
Le déclic du sommelier
Bien sûr, il n’a pas commencé à lever le coude à 7-8 ans. C’est plutôt dans la vingtaine que le déclic s’est produit lorsqu’il a rencontré Ghislain Caron, meilleur sommelier des Amériques en 2004. « C’était mon coloc, ce mec-là, sans s’en rendre compte, m’a ouvert des portes. Quand il a gagné son titre, quand il a gagné Québec, Canada et Amériques et qu’ensuite il nous a représentés au Mondial, le téléphone s’est mis à sonner à la maison et pas à peu près. Il prenait même pas le téléphone, il avait pris son trophée, l’avait mis sous son matelas. Un mec beaucoup trop humble…Et quand le téléphone sonnait, il disait, Philippe, c’est pour toi, c’est TQS…c’est Radio-Can, Rock Détente, c’est Énergie. Je voulais pas faire de médias, j’étais sommelier à l’auberge Hatley avec lui, Alain Bélanger, les sœurs Lambert…Pis à un moment, c’est la recherchiste de Caféine à TQS qui m’a appelée, qui m’a passée en entrevue et j’ai travaillé un an là. »
La suite, c’est Salut Bonjour, 11 ans de sélections de vins pour Tout le monde en parle, et puis la piqûre de la radio qui l’envoûté sur Énergie et Rouge FM. Lapeyrie, cest avant tout un fidèle à sa passion, ses potes, ses employeurs et son amour. Cela fait 15 ans et demi qu’il est en amour par-dessus la tête avec Pascale Labrecque, qu’il a rencontrée le 15 mai 2001 (date marquée au fer rouge sur son cœur) à l’Auberge Hatley alors qu’elle était chef de rang dans cet établissement. Là encore, c’est Ghislain Caron qui l’a mis sur le chemin du destin. « Je lui dois ma femme, mes enfants, ma job, ma passion pour le vin ! »
Le sommelier du peuple
Bref, un tit-cul qui toujours s’émerveille du bonheur qu’il transmet, à la lumière de son enfance passée au sein de sa famille très modeste. «On buvait des vins d’entrée de gamme, puis tu sais, je suis connu comme un peu le sommelier du peuple, avec des bouteilles pas chères…Très grand public, donc ça m’a suivi un petit peu, si tu regardes que ce soit dans mon livre ou dans mes suggestions, ce sont tous des vins en bas de 25$-30$, c’est ce que je bois à peu près dans la vie si même de temps en temps, on se pète un gros canon avec les copains, chacun met un petit 20 pièces et on va chercher une belle bouteille. J’étais plus stressé comme petit gars de la campagne qui se retrouve devant un Guy A. Lepage ou un Gino Chouinard ou un Francis Reddy, ces gars-là que j’admirais à la télé alors que moi mon but c’était d’être sommelier dans un restaurant. »
Sa vie à Québec
Ensuite, après un passage comme sommelier au restaurant la Chronique à Montréal, le chemin l’a mené au Laurie Raphaël de Daniel Vézina à Québec. Et, il enseigne depuis 15 ans à l’école hôtelière de la Capitale. « J’ai pas un seul élève des 15 dernières années qui cherche une job ! Ma blonde enseigne le service en restauration, tous ces étudiants sont placés, le téléphone sonne, les restaurants ont besoin de staff donc on voit vraiment un bel engouement. » L’humilité doit primer, ajoute-t-il. « Un chef fait son assiette, il rajoute des ingrédients. Nous on présente quelque chose qu’on n’a même pas fait, qui est déjà en bouteille, qu’on essaie de présenter de la façon la plus simple possible, mais toujours d’un côté pédagogique. Moi mon but, c’est « Embarque dans ma chaloupe, tu vas voir, on va tripper. » De prendre quelqu’un qui buvait des boissons fortes ou des trucs sucrés, des mélanges ou des bières américaines, tout doucement qu’il se convertisse vers le vin, ben mission accomplie, tu comprends ? Je travaille pour toi, mon chum, je travaille pas pour la SAQ. J’ai pas un nez bionique, j’ai pas la science infuse, mais j’en déguste 2500 par année, je suis capable de dire ce que j’aime pas. »
« Tu fais du bien aux gens, comme disait Jules Roiseux, t’es un marchand de bonheur. On ne sauve pas de vie, on amène du plaisir au monde. »
Lapeyrie, vigneron ?
Puisqu’il a côtoyé très jeune les vignobles, a-t-il un regret de ne pas avoir choisi d’être vigneron ? « Je veux pas faire du vin, pis je pense que si je faisais du vin, il serait très mauvais. Pourquoi ? J’ai fait des stages là-dedans, j’ai étudié pour bien comprendre comment on fait le vin pour les concours, pour maîtriser…mais, y’a même des vignerons qui m’ont approché pour faire une cuvée à mon effigie…Non, j’ai pas d’intérêt. Moi, c’est une fois que c’est en bouteille, c’est le côté sommellerie qui m’allume le plus, faire des accords, trouver des vins pas chers pour les gens, c’est gratifiant. Je l’ai vu encore dans la rue tantôt, « Grâce à ton vin de la semaine, je me suis réconcilié avec ma blonde ». Tu fais du bien aux gens, comme disait Jules Roiseux, t’es un marchand de bonheur. On ne sauve pas de vie, on amène du plaisir au monde. »
Avec ses comparses, Éve-Marie Lortie et Richard Turcotte
Le pouvoir Lapeyrie
Lors de passages à la SAQ, il y a toujours un client ou deux qui demandent au conseiller s’il a le vin recommandé ce matin-là par Lapeyrie à TVA, c’est immanquable. Une force de persuasion et un pouvoir dont il se sait investi. « Ça a pris du temps, au début les gens me disaient, hey comment ça marche, c’est la SAQ qui te dit quoi boire ? Ma blonde m’a dit, arrête d’essayer de les convaincre (du contraire), ils vont le voir avec le temps….C’est peut-être pas payant à court terme, parce qu’on en prend pas de cash, pis de chèque pis ça pis ça, mais à long terme ça va l’être. Parce que chaque matin, je me lève, je saute dans mon truck, je me dis, ça me tente d’aller travailler. »
« J’ai la chance de travailler pour de gros médias, Énergie, Rouge FM , le journal de Québec, TVA, c’est un rotoculteur ! On parle d’un vin à 8:45 le matin, t’as le Québec qui est devant sa télé, t’as 11-12 fois le stade olympique qui regarde ! Ben tant mieux, c’est pour ça qu’avant de la saluer la bouteille qui est sur la table, je l’ai re-dégustée une fois, pis deux fois. Ce sont des vins PMG (pour ma gueule), jamais je t’infligerai une bouteille que je boirai pas.»
Vedette par hasard…
Depuis la rentrée, il a finalement accepté de passer à l’animation d’un émission de radio matinale. Et si un jour, tout cela s’arrêtait ? « Sais-tu quoi, je regarderais jamais en arrière. J’ai du fun dans la vie, (il montre ses deux avant-bras tatoués des noms de ses fils) j’ai la chance d’avoir deux petits bonhommes merveilleux, mon petit Théodore, 15 mois, mon petit Thomas qui a 5 ans et demi. Chaque matin, ils sautent dans le lit, ils me font des prises de lutte, on fait des casse-têtes devant le foyer. J’habite dans le bois à Lac Beauport, j’ai une femme merveilleuse depuis 15 ans et demi, elle est belle, je suis encore plus en amour que le premier jour où je lai vue à l’auberge Hatley quand j’avais 27 ans…La vie est bonne, pis ça, ça m’enlève du stress malgré toutes les émissions et les soirées que j’anime devant 500 personnes, puis c’est sûrement mon papa là-haut qui m’aide à travers tout ça. »
photo : SAQ Cellier
« Je pense que Papa n’a pas été faible, il a voulu être fort trop longtemps »
Entre deux questions légères, Lapeyrie devient grave lorsque je lui demande ce que son papa pense de lui, là-haut…« Mon père s’est enlevé la vie, j’avais 3 ans et deux mois, en 1976. Il était directeur au séminaire Le Salésien à Sherbrooke, c’était un grand bonhomme, il avait 31 ans. Il aura pas connu mes deux petits enfants, tristement. Ma sœur avait 6 ans. Je pense qu’il est là tout le temps. Je pense que c’était un bon vivant, qu’il avait une grande gueule qui était capable de gérer l’école avec brio. Y’a un trophée Gérard Lapeyrie qui est remis chaque année à l’élève le plus talentueux, académique, sportif… »
Une disparition qui l’a marquée certes mais qui le guide dans sa propre vie. « C’était un grand bonhomme, j’essaie de suivre ses traces, de manière plus modeste. Ma mère n’en parle pas beaucoup, mais j’ai des échos d’autres personnes aux alentours qui sont encore en vie et qui étaient proches de mon père…J’aurais aimé qu’il voie ce qu’on est devenus et l’amour qu’on donne à nos enfants. Comme disait Dédé Fortin, la vie est courte, mais il y a des bouts qui sont plus longs que d’autres. Je pense que mon père a vécu un petit bout qui était plus long que d’autres… »
« Avant de te mettre une corde au cou, de te mettre un fusil dans la bouche, faut que ça ait été loin. Moi, j’en ai jamais voulu à mon père de ce geste irréversible-là, j’ai essayé d’avoir de l’empathie. Mais quand tu es jeune…tu dis pourquoi tu m’as laissé tout seul ? »
Paradoxalement, la joie de vivre de Phil Lapeyrie provient-elle de ce qui est arrivé à son père? « Tu te demandes quand quelqu’un en arrive là…J’entends des gens qui disent, ah faut-tu être faible pour se suicider ? T’as baissé les bras, t’as mis ton entourage dans la merde… Eh, attends un peu là, avant de se rendre là, t’as dû souffrir en « ciboulot »… Avant de te mettre une corde au cou, de te mettre un fusil dans la bouche, faut que ça ait été loin. Moi, j’en ai jamais voulu à mon père de ce geste irréversible-là, j’ai essayé d’avoir de l’empathie. Mais quand tu es jeune…tu dis pourquoi tu m’as laissé tout seul ? J’ai « rushé » sur des affaires…Oui, ma famille en Corse ne manque de rien, ils ont une belle maison sur le bord de la mer, mais ma mère nous a élevé tout seul. Tu te retrouves du jour au lendemain avec une p’tite fille de 6 ans, un p’tit gars de 3 ans, à 7 000 km de chez vous. De façon qu’elle a pu le mieux, elle nous a élevés, pis elle a bien fait…Mais, c’est toujours plus jeune…qu’est-ce que tu a pensé ? T’aurais pas pu tenir un peu plus fort ? Je pense qu’il n’a pas été faible, il a voulu être fort trop longtemps, c’est ce que je pense.»
Et la suite ?
Résilience, vous dites ? Reste que ce qui l’anime aujourd’hui semble lui tracer un parcours sans limite. Pourtant, il reste sur ses gardes… « Si tu me demandes présentement en 2016 ce que je veux faire dans 15 ans, je veux juste continuer à faire ce que je fais là. L’aspect financier, je m’en fous, je ne suis pas capable de gérer un sou noir dans ma vie, j’ai aucun intérêt de vouloir faire plus de sous. Ma famille manque de rien, ils ont chaud. Ma blonde qui est une Beauceronne de Ste-Marie, si c’était juste d’elle, on aurait encore une télé noir et blanc à la maison et elle se promènerait encore avec sa Geo Metro ! J’ai la femme la plus modeste qui existe. Une femme qui m’a connu titcul qui frottait des verres à l’Auberge Hatley à 250$ par semaine, j’étais son commis ! Je la suivais partout comme un petit chien et elle est tombée en amour avec un tit-cul qui frottait des verres… »
« L’aspect financier, je m’en fous, je ne suis pas capable de gérer un sou noir dans ma vie, j’ai aucun intérêt de vouloir faire plus de sous. »
Trop populaire ?
Phil Lapeyrie est en tout cas une personnalité populaire comme il y en a peu au Québec. Une gloire qui s’accompagne de certains petits « inconvénients ». « De temps en temps, j’aimerais ça, changer de face ! Tu vas dans un resto Apportez votre vin tout seul avec ta blonde pis les gens t’amènent des verres de vin à l’aveugle…Ma blonde a pas voulu ça, elle comprend le fait puis elle l’accepte, mais de temps en temps cet aspect-là, ça l’agace. Elle veut plus faire l’épicerie avec moi, même si les gens sont toujours polis…Mais tu fais ton jogging, t’as le chauffeur d’autobus qui arrive et dit Salut, ce soir je mange du homard, qu’est-ce qui irait ben avec ça ? Euh, on y va-tu avec un bonjour ? (rires) » Ce n’est pas la rançon de la gloire, selon lui.
« De temps en temps, j’aimerais ça, changer de face ! »
« Je ne suis pas en train de me plaindre. J’ai des amis qui travaillent dans des usines puis pendant 8 heures, ils regardent le cadran à visser des boulons ! Je suis resté avec les mêmes amis depuis que je suis tit-cul. »
Jamais ivre
« Je ne suis jamais malade, j’ai eu une gastro dans ma vie, je pogne une grippe aux 3 ans , ma blonde me nourrit avec des légumes à longueur de journée…Même si les gens pensent que je suis toujours en train de boire du vin à longueur de journée, je me le fais dire dans les IGA, Hey tu bois pas de vin ? Ben non, je te défie de trouver quelqu’un qui m’a déjà vu ivre. Je suis un bon vivant, j’ai du fun, mais quand je prends un ou deux verres, je suis à la maison, j’essaie de garder ma tête, j’essaie de me rappeler tout ce que se passe autour de moi, pis j’essaie de faire attention à moi, j’ai jamais bu de café de ma vie, je fume pas de cigarettes, je bois pas de liqueurs, je mange plus de dessert depuis 5 ans, chuis plate (rires)…J’essaie de faire attention parce que ça me tente de voir les enfants de mes enfants. »
Son vin d’île déserte ?
« En blanc, je suis un fou du Jura, les savagnins, des chardonnays. En rouge, mes plus belles émotions, ce sont les nebbiolos, le Piémont. »
Son plaisir liquide coupable ?
« J’aurais fait un maudit bon porte-parole pour la maison Campari. Un tiers de Campari, deux tiers de jus de pamplemousse rose avec un peu de Schweppes, un splash de lime et ça à la pêche dans une chaloupe avec des copains, des fous rires…Je ne suis pas un gros danger pour la truite (rires)… Ou une p’tite absinthe avec de la glace le soir… »
Alors , je vous l’avais pas dit, qu’on aimerait tous l’avoir comme ami ? Pas un gramme de malice, toujours disponible, quelqu’un qui prend le temps de répondre à tous les messages de ses « fans » sans exception. Parce qu’il sait aussi que s’il en est arrivé là, c’est parce qu’il l’a mérité et il se sent honoré par autant de gentillesse et de respect à son égard. Tchin tchin, l’ami ! Et bon vent…
Pour en savoir davantage sur son guide du vin, sa liberté, son refus des pots-de-vin ou tout simplement pour écouter cette entrevue très sympa et pour l’entendre parler de son papa, voici le podcast à écouter quand vous voulez, où vous voulez. À la bonne vôtre !
Bravo, Bravo,et encore Bravo, .
Ne laisser rien ,la vie et trop court pour ne pas la vivre jusque a la fin.
SB
Bonjour Philippe,
Tu ne te souviens probablement pas de moi mais je te gardais l’après midi parfois toi et ta soeur en 1975 et 76…j’avais 11 ans. Je demeurais »en haut de la côte ». Bravo! Belle réussite! 😀