Profession : tonnelier… au Québec !

, Profession : tonnelier… au Québec !

Dès qu’on entre dans son atelier, on sait que Pascal Plamondon aime le bois. Il ne fait pas juste le travailler, il le façonne, le respire et s’en inspire. Ébéniste de formation, il s’est lancé il y a quelques années dans la tonnellerie, un art plutôt rare au Canada et qui, de plus, ne fait pas recette auprès des vignerons du Québec qui préfèrent les fûts venus d’ailleurs. Rencontre avec cet artisan, maître des douelles !

Par Frédéric Arnould (lefred@toutsurlevin.ca)

Veuillez prendre note que ce tonnelier a cessé sa production. (mars 2019) 

Dans le décor enneigé plutôt bucolique des Cantons de l’est, devant la porte de son atelier, on entend la scie circulaire de Pascal Plamondon. Poussez la porte et vous êtes aussitôt assailli par cette odeur de sciure de bois, un mélange d’essence de pin, de chêne et de noyer. Pas de doute, ce gaillard à la jeune quarantaine est un amoureux de ce matériau noble. Il est en train de couper des douelles, ces fameuses lattes qui serviront à confectionner des tonneaux.

tonnelierEn tant que jeune ébéniste, alors qu’il se cherchait une spécialisation dans le métier du bois, Pascal Plamondon s’est d’abord intéressé au vin en plantant 250 vignes de frontenac et de marquette. Après 3 ans de dur labeur et d’apprentissage, sa première vendange lui rapportera quelque maigres 50 litres de vin. Comme on dit dans le jargon, « don’t quit your day job », il a donc poursuivi en parallèle une formation en tonnellerie.

« Je me suis rendu compte que c’était beaucoup de travail. Entre 10 et 12 heures par semaine juste pour la taille, le sarclage, l’entretien, les arrosages pour réussir à avoir 50 litres de vin. Mais j’ai appris beaucoup sur la viticulture. » Le vin donc, n’était donc pas buvable, même s’il en a gardé un peu dans son cellier qu’il regoûte de temps à autres. Et il goûte vraiment le chêne…Un Château « Deux par quatre », peut-être ?

chêne américainUne vocation ?
Après s’être lancé à corps perdu dans le fabrication de tonneaux, il n’était pas tout à fait sûr d’avoir choisi la bonne voie. Mais, après avoir fait son vin et enfûté sa propre bière, le doute s’est bien vite dissipé. Cinq ans plus tard, Pascal Plamondon est devenu tonnelier. « J’ai complètement délaissé l’ébénisterie pendant plusieurs années juste pour faire du tonneau, autant décoratif pour les marchés d’alimentation que le tonneau étanche pour ceux qui font du vin ou de la bière maison. » Sa plus grosse commande à vie en termes de tonneaux ? 7000 fûts décoratifs pour IGA ! Si vous voyez des tonneaux qui servent à exposer des fruits et légumes ou autres produits d’alimentation, il y a de fortes chances pour que ce soit un « Plamondon ».

tonneaux de chêneUne matière première menacée

À 75 pour cent, le bois qu’il utilise, c’est du chêne blanc américain qui pousse au Québec, le Quercus alba. Vu son faible volume de production (une centaine par année), il peut s’approvisionner au Québec.
Mais il vise une utilisation responsable de la ressource. « Si le marché grossit au Québec et que la demande du chêne du Québec augmente, on va avoir un sérieux problème parce qu’il n’y en a plus de chêne au Québec. Ça n’a pas été replanté. Il va falloir se tourner vers le chêne de l’Ontario et du nord des États-Unis pour avoir la même ressemblance au niveau de la densité du bois qui pousse au Québec. »
pascal plamondon
3 jours par barrique

Fabriquer un tonneau n’est pas une sinécure. En fait, après avoir débité le chêne en lattes (les douelles), il faut préparer les angles et le cerclage. « Il faut ramollir le bois et pour ça, il faut faire un feu à l’intérieur du tonneau afin que la chaleur attendrisse la fibre du chêne. Quand la fibre est assez chaude, on peut fermer le tonneau au complet.On cintre d’un coup 25 douelles qui font jusque 2 pouces d’épaisseur d’un coup, c’est impressionnant, et pour ça, il faut donc que le bois soit assez tendre pour qu’il ne casse pas. »

tonneauxMéditatif

L’étape de faire plier le bois en est toute une qui frise le mystique et la contemplation pour l’artisan qui a des étoiles dans les yeux lorsqu’il parle de son art. « Juste de faire un feu, c’est quelque chose de magique. On mouille aussi le bois, donc il y a de la vapeur, on joue avec l’eau et le feu, y’a le risque de brûler le tonneau, faut contrôler le feu. » C’était d’ailleur tout un défi au début pour le tonnelier qui littéralement « brûlait » ses premiers fûts. Reste que son expérience lui a donné des moments d’introspection.

« Une heure à faire du feu dans ton tonneau, tu dois contrôler, donc tu réfléchis, tu regardes toutes les douelles de ta barrique. Tu les vois craquer, tu les vois gercer. Faut être attentif pour que la température soit égale partout. C’est comme quand on fait un feu l’été, on fixe la flamme et on réfléchit. »

barils plamondonVivre grâce à ses tonneaux ?

C’est bien connu, nul n’est prophète en son pays. Même si le Québec compte de nombreux vignobles, il ne peut vivre de son art, car les vignerons d’ici utilisent les barriques qui viennent d’ailleurs. Tout comme les vignerons du monde entier qui continuent d’utiliser les barils français, américains et dans une moindre mesure ceux de Slovénie. Difficile de changer les habitudes lorsque vient le temps d’évaluer le savoir-faire et l’expérience. « Ce ne sont pas tous les vignobles qui travaillent en fûts de chêne, ni en fûts de chêne américain. En plus ici, on n’a pas de tradition de tonnellerie avec le vin et l’alcool. Avec les mégas entreprises de tonnellerie américaine et australienne, des tonneliers comme moi, on le fait par passion. Premièrement, je ne seras pas compétitif parce que je les fais à la main. Son seul avantage serait de travailler pour des vignerons québécois qui souhaiteraient faire  mais, peut-être, si je veux aller chercher une clientèle qui veut un produit fait à la main au Québec pour avoir une appellation 100% québécoise… » Bref, un métier noble mais peu populaire, que ce soit par choix personnel ou par absence de marché.
tonneau plamondonQuelques vignerons américains aux alentours du Lac Champlain l’ont pourtant récemment approché. Ils voient la faiblesse du dollar canadien face au billet vert comme un avantage non négligeable, mais pour l’instant, cela ne s’est pas encore traduit par des commandes fermes. De toute façon, pour devenir concurrentiel, il faudrait alors qu’il mécanise sa production, ce qui nécessiterait des investissements massifs de près d’un million de dollars pour une production importante. « Je suis plus un artisan, c’est ma vision. »

Que boit un tonnelier ?
Les cordonniers les plus mal chaussés, dit-on, mais un artisan du bois aime-t-il les vins « chêneux » ? « J’aime beaucoup les vins qui viennent des pays très chauds comme l’Espagne, le Portugal, le sud de la France, l’Australie, des vins qui ont du corps, qui ont un goût terreux. Ou les vins du nouveau monde, ceux du Chili, de l’Argentine. » Bref, des vins…boisés ! « À force de travailler le chêne dans l’atelier, je le sens. C’est imprégné dans mes narines, on dirait. Je sens la barrique de chêne ! Dès que j’ouvre une bouteille, je le sais tout de suite quand il y a du chêne dedans. » Plus difficile pour lui par contre de détecter le chêne français qui est plus subtil que l’américain.

tonolongboardDu tonneau à la planches à roulettes

Depuis le temps qu’il confectionne des barriques, il a constaté qu’il y avait beaucoup de retailles de douelles. Il les a donc accumulées pour en faire quelque chose un jour. Lui-même fan de surf, il a vu des surfeurs faire du « long board » (des planches à roulettes de plus d’un mètre de long) sur le bord de la mer lorsque les vagues n’étaient pas au rendez-vous. Et le déclic s’est fait, il a donc rentabilisés ces restants de douelles.
« Tant qu’à faire, j’ai collé du noyer noir avec du chêne. J’ai fait un modèle de planche qui fait un peu « vintage » pour un premier « long board » et je me suis promené aux États-Unis avec ma planche, tout le monde m’arrêtait. Wow où as-tu pris ta planche ? Donc j’ai vu qu’il y avait un intérêt. »

planche à roulette

Aujourd’hui, deux ans plus tard, il démarre une nouvelle entreprise, « tonolongboards.ca« , un petit clin d’œil à sa profession. Avis aux amateurs, son site sera en ligne d’ici deux semaines. Sa conjointe Maryse Blanchard veille au grain. Elle est gestionnaire, responsable du marketing et des ventes de ce nouveau projet. Tout comme une série limitée, toutes les planches sont numérotées, faites à la main. Une façon de se renouveler tout en gardant son art vivant. « On n’arrête jamais, il faut toujours créer, innover dans le milieu si on veut rester en vie », conclut-il. Ah oui, je ne vous l’ai pas dit, mais je lui ai apporté ma barrique bourguignonne que j’avais achetée d’un vigneron de la lointaine vallée de l’Okanagan en Colombie-Britannique pour qu’il me la transforme en tonneau « bar à vin ». tonneau barDu travail d’artiste ! Eh bien vous savez quoi, il était presque ému de la voir repartir avec moi, tellement il s’était attaché à ce noble matériau qui avait été façonné par l’un de ses pairs en Bourgogne. Un vrai passionné du bois, droit comme un chêne.

 

Pour écouter l’entrevue audio avec Pascal Plamondon, c’est ici. Et pour le contacter, c’est pascal@tonolongboards.ca !