Quand les primeurs de Bordeaux voyagent…
Chaque année, c’est pareil. Les grands pontes de la dégustation de vin, de la chronique vinicole, des sommeliers et de grands acheteurs mondiaux se donnent rendez-vous à Bordeaux pour aller goûter le vin produit avec le « jus de raisin » pressé 6 mois plus tôt. Autant dire, un vin qui ne ressemblera à rien de ce qu’il goûtera quand il sera mis sur le marché 2 ans plus tard. Un « privilège » réservé à ces grands pontes qui se font inviter par les maisons des grands crus… Mais, qu’en est-il des « vrais » clients eux, amateurs de vins de Bordeaux ? Certains ont pu se livrer à cet exercice à Montréal…
Par Frédéric Arnould (lefred@toutsurlevin.ca)
Je me suis déjà souvent épanché sur les « sacro-saints » primeurs de Bordeaux. En gros, ce sont quelques dizaines de grandes gueules à la Robert Parker et autres dégustateurs qui goûtent donc ces vins qui sont à peine dans leur enfance. À partir d’un échantillon prélevé de barriques, avec à peine 5-6 mois de maturation, ils vont « évaluer » et donc décider qu’un an et demi plus tard, ce grand cru de Bordeaux devrait se vendre 100 $, 500$ ou pourquoi pas 3500$ la bouteille dans le cas d’un Pétrus. Provoquant ainsi un intérêt parmi les plus richissimes de vouloir acheter une caisse de celui-ci, une caisse de celui-là à un prix alors fixé par le domaine vinicole en fonction des cotes que les dits dégustateurs auront donné au vin. Me suivez-vous ? Ce vin-ci a eu une cote de 97/100 ? Parfait, on va le vendre pour 799$ la bouteille. Celui-là a obtenu 92/100 ? Alors vendons-le disons, 125$… Les domaines offrent alors aux clients d’acheter telle ou telle caisse de 12 bouteilles en primeur avant même que le vin ne soit livré minimum un an et demi plus tard. Pour les producteurs de grands crus classés, cela permet d’engranger l’argent avant même de livrer la marchandise. Brillant marketing, n’est-ce pas ?
Système corrompu ?
Ces fameuses cotes que l’on voit dans les magasins, guides et autres sont en tout cas données par les grands dégustateurs qui, la plupart du temps, vont goûter les vins en sachant très bien qu’ils goûtent tel grand cru… Donc, s’ils savent qu’ils goûtent un Pétrus, un Mouton-Rothschild ou autres grands crus classés, il y a fort à parier qu’ils donneront un cote d’au moins 97… Sinon, imaginez qu’ils le goûtent à l’aveugle et lui attribuent un 91 et en plus donnent une meilleure cote à un cinquième cru de moindre importance ! Le système s’écroulerait, Bordeaux aussi… Bref, de quoi donc douter de cette grand-messe des primeurs et de l’impartialité des « goûteurs » qui font la pluie et le beau temps du marché. Qui plus est, ils décideront que tel vin sera prêt à boire d’ici 10 à 25 ans… Tout ça à partir d’un échantillon de 6 mois, »reflet le plus juste et le plus représentatif du résultat final », selon leurs dires »… Y croyez-vous, vous ?
Quant aux producteurs de Bordeaux, ils vantent presque chaque année la qualité de leurs vins. Normal, me direz-vous. Mais à part quelques années plutôt faibles (2007, 2012, 2013…) ils nous vendent toujours cela à coups de pelles remplies de superlatifs : « Quel millésime classique ! », « Un équilibre remarquable! », « Dignes de 2009 et 2010 », « Une merveille tout en finesse et profondeur » ! Tout cela histoire de fouetter l’intérêt et de faire monter les prix…
Des primeurs à Montréal !
Puisque la plupart du « vrai monde » n’ira jamais aux primeurs, pourquoi ne pas faire venir les primeurs à eux ? C’est donc ce qu’a fait la SAQ en réussissant à convaincre 26 propriétaires de châteaux à venir faire déguster leurs « bébés » d’un peu plus de 6 mois à Montréal. Les St-Émilion Grand cru, St-Estèphe, Pauillac, Haut-Médoc étaient entre autres, de la partie. Baptisée « Le grand événement Bordeaux 5 étoiles », cette occasion a permis de rassembler quelques dizaines d’acheteurs de vins, membres de SAQ Signature. Le PDG de la SAQ, Alain Brunet n’était pas peu fier d’avoir réussi ce coup de maître, une première au Canada et probablement en Amérique du Nord. Une opération qui n’était en tout cas pas une sinécure. Les échantillons ont été embouteillés vers la mi juin, ont pris l’avion, sans que la « chaîne de froid » ne soit brisée pendant le voyage. Parce qu’un échantillon de Bordeaux de 6 mois, c’est un peu comme un vin « nature ». Il voyage très mal, est très instable et peut vraiment virer à la piquette nauséabonde, si « maltraité ». Donc, quelques grands châteaux ont fait le voyage : Malartic-Lagravière, Smith Haut-Lafitte, Batailley d’Armailhac, Rauzan-Ségla, Calon-Ségur et consorts étaient là, prêts à séduire les novices aux poches profondes.
Surprise, c’est très buvable !
Franchement, je m’attendais à un jus de « 2 par 4 ». Pensez donc, un vin embryonnaire que l’on a arraché de sa barrique après seulement quelques mois. Il semble que le millésime 2015 en soit un de « chaise longue » selon les producteurs ! Entendez par là, qu’il est plutôt déjà abouti (une sacrée surprise) mais ne sera à son apogée que d’ici 15 ans. À en juger par les échantillons dégustés, ces « grands crus » sont plutôt fruités, charmeurs, assez concentrés mais pas trop. Les robes de ces vins sont plutôt intenses, les tanins sont déjà soyeux et les bouquets sont « gourmands ». Prometteurs donc, mais qu’en sera-t-il dans 5, 10 ou 15 ans ? De grands dégustateurs ont déjà donné des notes dithyrambiques à des millésimes qui se sont complètement aplatis quelques années plus tard. Alors que d’autres plutôt moyens ont surpris par leur durée sur le long terme. Bref, une « science » loin d’être exacte.
D’autres primeurs au Québec ?
Les clients ont paru satisfait de l’expérience « primeurs » de Montréal. Après tout, ils ont touché de près au « Mystère de Bordeaux ». Ce privilège sera-t-il toujours réservé aux résidents de la métropole ? Alain Brunet, numéro 1 de la SAQ, envisage non seulement de rééditer l’exploit mais aussi de l’étendre à d’autres régions du Québec. À suivre… Quant à certains absents de l’événement tels que les premiers grands crus classés (Lafite, Margaux, Latour, Haut-Brion) qui, franchement, n’ont probablement pas besoin des portefeuilles québécois pour se vendre, Alain Brunet ne désespère pas un jour de les attirer. De quoi faire sortir davantage les primeurs, des sentiers battus bordelais, de se faire une idée sur ces monstres sacrés souvent inabordables et de jouer au « superdégustateur » rempli de pouvoirs…
Bonjour, tardivement je vient de lire ce article .
Contente ,très contente de savoir que mes questions sur les super dégustateurs vient d’avoir la réponse gras a votre article.
Tout a coup j’ai encore plus confiance en moi quant je doit dire oui j’achète .
Merci pour touts les articles envoyer .
Cordialement
Stéphanie Borca