Ras-le-bol des snobs du vin ?
Vous n’en pouvez plus d’entendre « Ce vin sent le bois de santal et la bergamote, cher monsieur ! », de vous faire dire « Ici, nous ne vendons que de vins d’importation privée, c’est bien mieux qu’ailleurs », ou encore « il faut boire du poulsard, c’est très tendance » ? Vous n’êtes pas les seuls.
Des sommeliers à toutes les sauces, des pseudo-oenologues, des importateurs de pacotille, des vins de qualité douteuse plus que dispensables, tout y passe dans le dernier livre de Jacques Orhon. Parcours d’un amoureux du vin « qui ne se la pète pas… »
Par Frédéric Arnould (lefred@toutsurlevin.ca)
Ce jovial Français bon teint à la gouaille infaillible et jamais méchante en connaît un sacré bout sur le vin. Se surnommant lui-même le globetrotter du vin, Jacques Orhon est de toutes les dégustations et un peu partout, il est invité comme juge sur des compétitions internationales. (Entrevue audio à écouter au bas de l’article !)
Originaire d’une famille modeste bretonne, Jacques Orhon enfant était fasciné par les bouteilles de son père qui lui donnait envie de voyager. « L’école on devrait la faire en autocar, me disait mon père, un grand amoureux et complice de la nature. Le monde du vin est sans doute l’un des mondes dans laquelle la nature joue un rôle prépondérant et elle a le dernier mot. Malheureusement, l’homme croit qu’il va avoir le contrôle sur elle. À l’âge de 9 ans, mon père, m’avait nommé l’échanson de la maison, ce qui veut dire sommelier et je ne savais pas que j’allais en devenir un plus tard. »
Dans sa jeune vingtaine, après quelques crochets ici et là, il choisira de s’établir au Québec, dans le coin de Sainte-Adèle, le pays des histoires d’en haut. Il deviendra même professeur de sommellerie. « Je me considérais comme un imposteur, mais je me suis piqué au jeu de l’enseignement. On a créé le cours de sommellerie, et j’ai enseigné pendant 30 ans dans les Laurentides. Comme je n’avais rien pour enseigner, je me suis bâti mon matériel didactique. Ça m’a obligé entre autres d’aller en Italie. Aujourd’hui, je continue à apprendre ou à me remettre en question ou retourner sur le terrain pour vérifier à nouveau. »
Mais quelle mouche a donc piqué l’auteur de plusieurs livres qui sont devenus des références un peu partout dans le monde pour qu’il écrive cet essai, « Le vin snob, propos décapants sur un milieu qui a tendance à se prendre au sérieux » ? « Au tournant de l’an 2000, j’ai pris une année sabbatique pour organiser le concours du meilleur sommelier du monde et à l’issue de ce concours, j’ai renoncé à utiliser le mot meilleur. Je me suis remis en question. Le meilleur, c’est tellement lourd de sens ! Soyez humble devant une bouteille de vin, ne soyez pas prétentieux » disais-je à mes élèves. S’il y a une vérité, elle doit se cacher quelque part dans le fond du verre, qui sommes-nous pour dire qu’on détient la vérité ? Le vin est une grande école de respect et de tolérance. On ne fait pas la leçon à un client.»
De prétendus sommeliers ?
Mais, comment séparer le bon grain de l’ivraie (ou de l’ivresse) ? Après tout, n’est-ce pas ceux qui en parlent le plus qui en savent le moins ? « Quand il y a des gens qui ne sont pas du tout dans le monde du vin et qui se disent sommelier, à mon avis il y a une usurpation de titre, tout comme il y a beaucoup de gens qui se disent œnologue et qui ne le sont absolument pas alors carrément ça peut être grave parce que le diplôme d’œnologue, ce sont plusieurs années d’études qui passent par la chimie. On a galvaudé un peu tout ça. »
Trop de « snobeliers » et de « blageurs » ?
« Le gars qui a la grosse tête, parce qu’il a un diplôme et croit tout savoir et il a un comportement comme si il était docteur en climatologie, en géologie, en chimie, en biologie…c’est du n’importe quoi. Chez les chroniqueurs, il y en a qui sont bons, d’autres moins, c’est une question d’éthique et puis il y a les blogueurs qui font un très bon travail et les « blagueurs » qui racontent des blagues ! Des noms ? Non, je ne donne pas de noms (rires). »
Le vin, on doit l’approcher comme on approche une personne avec simplicité, avec franchise, respect tout simplement, ça sert à rien de faire du cinéma J.Orhon
Les fameuses tendances poussées par les « snobeliers » vedettes, les agences d’importation et qui nous disent qu’il faut boire du poulsard ou du viognier, irritent aussi notre Orhon national : « Plus c’est inconnu, plus ça a l’air d’être mieux…comment mais tu connais pas le camaralet ? Mais c’est normal qu’on ne connaisse pas le camaralet ni forcément le gros manseng et le petit manseng. » « On a rendu le vin un peu tendance, on a fait feu de tout bois avec le vin, ça va dans tous les sens et à mon avis, c’est un peu trop » Depuis que le livre est sorti, beaucoup me disent : On attendait un livre comme ça, on était tannée de voir comment les gens ont compliqué le monde du vin, parce que le vin c’est quelque chose de simple. »
Les restaurateurs passent à la caisse
Les restaurateurs qui se sucrent sur le dos des clients avec des cartes de vins exorbitants ne sont pas épargnés par l’auteur du vin snob. « Quand j’entends, (dans mon restaurant) moi je n’ai que des vins d’importation privée…à mon avis, c’est un manque de respect pour le client qui a besoin de repères. Avoir des importations privées, c’est une très bonne idée, mais il faut équilibrer sa carte pour avoir aussi des produits plus classiques dans lesquels le client se reconnaît. Et puis il y a aussi le respect par rapport au prix, car malheureusement on exagère, il y a des gens qui ne voient pas plus loin que leur bout de nez et on presse le citron, on se dit tiens, on peut faire une passe d’argent maintenant, et on fait des prix, 3 et demi à quatre fois le prix du vin et ça je trouve cela malhonnête. »
Et les vins bio et « nature » alors ?
Que penser des « Château de la Fosse septique » et du « Grand cru des égouts », de faux noms dignes de ce que sentent parfois ces vins parfois extrêmes ? « Moi je n’ai rien contre rien, dit-il, je suis pour tout, en autant que ce soit bien fait, en autant que cela soit sincère et que cela corresponde à l’image de l’endroit, au terroir, j’ai aucun problème avec ça, mais comme je dis aussi, tous les goûts sont dans le « nature », même le mauvais .»
Et la SAQ ?
« Il y a 45 ans, les gens buvaient du martini ou du bellini, c’était épouvantable ! » J’ai connu les derniers magasins à la SAQ, avant qu’il ferment à Ste-Adèle, c’était un comptoir derrière lesquelles se cachaient des employés avec des blouses grises, des vieux ronchons et à qui on demandait des bouteilles de n’importe quoi et quand ils allaient au fond les chercher, ils les mettaient dans un sac de papier brun et il fallait quasiment se cacher pour les ramener à la maison. On est sorti de la Grande Noirceur et quand on voit aujourd’hui les magasins, c’est formidable. Un monopole d’état dans une économie capitaliste, ça a l’air aberrant mais ils ont réussi à concevoir une si grosse machine où la plupart des producteurs de la terre veulent être vendus (à la SAQ), parce que ce sont des ventes assurées.
Au-delà des 15 000 produits proposés aujourd’hui par l’importation qui transitent aussi par la SAQ, on ajoute les 8000 vins proposés par la SAQ, et donc on se retrouve aujourd’hui avec un des plus grands choix de vins au monde. Le nier, c’est malhonnête. J.Orhon
Examen de passage réussi donc pour la SAQ selon Orhon, mais attention… « C’est certain qu’il y a beaucoup de vins qui ont peu d’intérêt, qu’il n’y a pas assez de vins qui pourraient coûter moins cher. Y’a une machine qui est assez lourde, qui coûte cher, faudrait peut-être resserrer les boulons et restructurer tout ça. »
Les notes du vin
«Ça vient d’où cette note de 92 points ? Ça devient ridicule, c’est comme si dans sa propre famille, mon fils je lui donne 8 puis ma fille je lui donne 9 ou 6. Est-ce qu’on donne une note sur quelqu’un ? Non ! La perception d’une personne est quand même beaucoup plus complexe et la perception d’un vin, elle est complexe. » Mais en même temps, lui dis-je, nous ne sommes tous des connaisseurs du vin, mais cela doit quand même conforter les gens de lire, ah ce vin est bien coté, je peux m’y fier, non ? «Oui mais une des conséquences de cela, c’est qu’il y a des gens qui ne vont se fier que là-dessus et donc ils oublient de se forger leur propre opinion, c’est important se forger sa propre opinion, de s’inscrire à un club, de rencontrer des copains pour déguster, pour en parler. Là j’ai l’impression qu’on fait du prêt à porter, que tout est mâché…avec ses cotes. Comment on a pu arriver à dire que ce vin fait 15,2 ou 15,4 sur 20 ? J’aime mieux utiliser les mots pour parler d’un vin parce qu’avec des mots on peut laisser la porte ouverte. »
Bref, Jacques Orhon tire « à ballons de rouge » et tout le monde en prend pour son grade. Mais ce n’est jamais méchant et souvent plutôt constructif. « Le vin snob » aux Éditions de l’Homme est actuellement en réimpression et sera publié en France en février.
Questions en rafale
Faut-il mieux économiser 3500 $ pour s’acheter un Pétrus de 2005 ou pour 100 bouteilles à 35$ ? La deuxième option ! Petrus, j’ai eu la chance d’en boire, ça peut être très grand mais ça peut être aussi très décevant par rapport aux attentes. Imaginez, avec cet argent, le nombre de fois où on peut se faire plaisir…
Un vin que vous pourriez boire tous les jours ? « Je vais faire très snob (rires), c’est le champagne ! Mais, pas nécessairement les plus grands noms, ça peut être un champagne qui peut se vendre à 44$ la bouteille. Je pense que le champagne rend les gens joyeux, plus vrais et moins bêtes.
Un verre de champagne !
Et tant qu’à être condamné, faudrait que le bourreau puisse aussi boire un verre de vin. Alors si vous prenez un rouge et que lui préfère du blanc, y’a encore un problème . Peut-être que le champagne va faire l’unanimité.
Pour briser votre image, le plaisir coupable « liquide » ? Une fois j’étais à l’épicerie, et puis un client qui m’a regardé dit, ah monsieur Orhon, il boit de la bière ! Oui et alors ? (rires) J’aime bien une bière après des marathons de dégustations de vins.
Soif d’en savoir plus sur Jacques Orhon ? Découvrez ses souvenirs d’enfance, ses premiers émois viticoles et vinicoles, ce qu’il pense des agences de vins, des spéculateurs du vin, cliquez sur le podcast pour écouter l’entrevue audio. Ouvrez donc une petite bouteille et sirotez-là en buvant les paroles de cette « institution du vin » au Québec. À la bonne vôtre !
Quand on a plus de tribune, on en vient à tirer sur ce que l’on a toujours été…..
C’est bien tout ce qu’il était. Du vénéré animateur télé qu’il a été ( commandité par vin, agence et domaine ). Glorificateur de la SAQ en passant par dire que les importateurs sont des cons qui savent rien au vin. Maintenant le voilà rebel!!! Laissez moi rire, il sera toujours ce qui est justement un de ces snobs du vin…… C’est un grand comédien ce Orhon, c’est son nouveau combat un combat public contre lui même……
Bravo Jacques pour ce texte et ton livre !
Bravo Jacques pour ce texte et ton livre!
J’aime bien son néologisme «snobelier». J’ai connu un critique de Québec qui se promenait de cocktail en coquetail avec un thermomètre dans son verre de vin. Le vin finalement, c’est comme le sirop d’érable. Même les feuilles se ressemblent. On le goûte… par goût. Il n’y a ni passion, ni dévotion, ni vénération dans la dégustation d’un vin, ou d’un sirop d’érable. Il n’y a que vos papilles qui comptent. Que le bonheur qui s’installe dans votre bouche et qui descend dans votre gorge. Tout le reste n,est que «snobelerie».
Enfin un coup de pieds dans la fourmilière, on commence enfin à oser parler de ce grand « foutoir » ou tout le monde fait du grand n’importe quoi sous n’importe quelle appellation (snobeliers et consorts). Le mondovino a besoin d’évoluer.
#Vinopompeux