30 ans de concours de dégustation du vin sous une dynastie belge

concours mondial de Bruxelles, 30 ans de concours de dégustation du vin sous une dynastie belge

S’il y a un concours de dégustation de vins qui est très couru par les vignerons du monde entier et par les dégustateurs qui se bousculent au portillon pour en faire partie, c’est bien le CMB, le Concours Mondial de Bruxelles. Établi depuis 30 ans et devenu une compétition qui se promène sur le globe terrestre depuis 20 ans, ce concours est avant tout l’affaire de la famille belge Havaux qui a eu un petit de pouce à Montréal il y a bien longtemps. Tour d’horizon d’une organisation qui se réinvente sans cesse.

Par Tout Sur le Vin

En ce jeudi nuageux, ils sont plus de 300 dégustateurs du monde entier qui se pressent d’entrer dans le palais des sports de Poreč, une ville de Croatie bordée par la mer Adriatique et où pullulent les vignobles de malvoisie et de teran, les deux cépages phares de la région.

Concours Mondial de Bruxelles

Dès 9 heures du matin, le coup d’envoi est donné alors que des dizaines de fébriles sommeliers croates sillonnent le parterre où sont déjà installés 320 dégustateurs avides de fouetter leurs papilles avec près d’une cinquantaine de vins, qu’ils vont tester complètement à l’aveugle, sans aucun indice de provenance, de cépages ou de styles de vinification. Le tout se fait sous une musique enjouée et non moins solennelle.

Thomas Costenoble, oenologue de formation, chapeaute le processus depuis 29 ans maintenant et à chaque fois, c’est la même émotion. « C’est quand les sommeliers arrivent pour la première fois dans la salle sur cette musique, cela fait quand même un moment vibrant où on voit l’ampleur de l’événement et la masse de gens qui sont impliqués là dedans. »

Thomas Constenoble

Thomas Costenoble, directeur du Concours Mondial de Bruxelles

Gérer ce flot de dégustation mené rondement, à raison d’une cinquantaine de vins par matinée pendant trois jours, est tout un défi. Surtout depuis que les dégustateurs qui utilisent une tablette pour indiquer leurs notes sur les vins, doivent aussi écrire avec leur clavier des commentaires sur chaque vin dégusté, des commentaires précieux qui seront ensuite compilés à l’aide de l’intelligence artificielle pour produire des fiches précises très utiles pour les vignerons.

« Il faut que tous les dégustateurs puissent valider le premier vin sans problème, explique Thomas Costenoble. Parce que là, la technologie, il ne faut pas qu’elle nous lâche.C’est toujours un moment où on est vraiment tributaire de ça, mais, on a une équipe professionnelle qui est rodée à l’exercice et donc ça ne pose pas de problèmes. Il y a un petit moment de stress mais c’est du stress positif. »
Thomas Costenoble, directeur du CMB
Louis Havaux, le pionnier

Cette trentième édition du CMB se tient aussi sous le regard amusé, espiègle et passionné de Louis Havaux qui a lancé ce concours en 1994. Alors que le Nivellois de presque 88 ans avait pris un peu de recul ces dernières années, il tenait à assister à cette édition si spéciale.

Celui qui a repris l’imprimerie familiale dans le Brabant wallon en Belgique, il y a bien longtemps, s’est lancé corps et âmes dans cette aventure du vin, dont il est on ne peut plus fier, et dont le fils Baudoin et, depuis quelques années son petit fils Quentin, ont repris les rênes.

Louis Havaux, fondateur du CMB

Louis Havaux, fondateur du CMB

Tout a commencé avec cette passion du vin que le patriarche de la famille a entretenu alors qu’il reprenait en main la Revue des sommeliers belges il y a de cela quelques décennies. Ayant ensuite embarqué dans la Revue belge des vins et spiritueux, tour à tour président de la Fédération internationale des journalistes et écrivains du vin (FIJEV) et secrétaire des sommeliers de Belgique, il s’est retrouvé à Montréal dans les années 90 alors qu’il participait à un concours de dégustation de la Société des Alcools du Québec. 

« J’y ai rencontré Ezio Rivella, de la maison toscane Banfi, qui était président de la dégustation de la SAQ et qui me connaissait de la Belgique, et là dans ce concours je me suis retrouvé avec des sommités, dont le directeur de l’OIV (Organisation internationale de la vigne et du vin) qui m’a pris en amitié et qui m’a dit « tu devrais faire un concours. »

Un concours qui s’exporte

Après ce coup de main de Montréal, Louis Havaux a alors monté le premier concours de Bruxelles qui s’est tenu à… Bruges ! Un coup de poker qui fut le début d’une grande aventure dont se souvient encore Constantin Stergides, le doyen du concours qui en est personnellement à sa vingt cinquième édition. “C’était vraiment magnifique, dans une petite école hôtelière de filles à Bruges.” Parmi une cinquantaine de dégustateurs de l’époque, il a ainsi participé à un concours qui n’a cessé de grandir et de se diversifier.

La première édition du Concours Mondial de Bruxelles organisé à Bruges en 1994

La première édition du Concours Mondial de Bruxelles organisé à Bruges en 1994

C’est lors de sa dixième édition que le concours de Bruxelles est devenu itinérant, sous la houlette de Baudouin Havaux qui commençait à trouver que la compétition serait plus enlevante ailleurs, tant pour les dégustateurs que pour les producteurs de vins eux-mêmes.

Baudouin Havaux, président du CMB

Une idée qui lui est venue dans un bar de Bruxelles à trois heures du matin alors qu’il était en compagnie de Carlos de Jesus, directeur du marketing de la compagnie de bouchon Amorim. “Pendant le concours qui avait lieu à Bruxelles, il faisait chaque année une présentation sur les bouchons. Une année, deux années, trois années, bon à la fin je me disais, moi le bouchon si je veux le comprendre, il faut aller sur place voir les chênes, il faut les toucher. Et là il me dit, il faut venir au Portugal. “Bon, on va organiser le concours au Portugal, je lui dis, et c’est comme ça que c’est parti !”

Les 320 juges du CMB réunis à Porec, en Croatie

Les 320 juges du CMB réunis à Poreč en Croatie

Une idée sur un coup de tête dans un bar qui, depuis, a permis à des centaines de dégustateurs de voyager aux quatre coins de la planète. « On est capable d’organiser une dégustation et de servir des vins à une bonne température, de choisir des verres pas trop moches, de les laver correctement, d’avoir une bonne climatisation et de donner des bonnes conditions de dégustation, ajoute Baudouin Havaux. Et c’est ce qui attire le capital humain de ce concours, c’est à dire, les meilleurs dégustateurs du monde qui font la fiabilité du concours. »

Concours mondial de Bruxelles

Le Concours mondial de Bruxelles octroie des médailles aux meilleurs vins primés

Une histoire belge dans le meilleur sens du terme. « Je crois que la raison pour laquelle le concours a fonctionné, c’est peut être parce qu’on est Belges, peut-être parce qu’on a démarré dans un pays neutre. On n’est pas français, on n’est pas italien, on n’est pas espagnol, donc, tout le monde peut venir concourir et en cela, il n’y a pas de suspicions de favoritisme. »

Histoire de toujours renforcer la qualité de la dégustation des vins présentés, depuis 2004, les organisateurs collaborent avec une équipe de chercheurs de l’Institut de statistique de l’Université Catholique de Louvain pour le traitement des résultats et le suivi du profil de chaque dégustateur. 

Une dynastie très proactive

Depuis quelques années, la dynastie Havaux a pris de l’ampleur avec la troisième génération, en la personne de Quentin, qui se destinait d’abord au milieu de l’économie et de la finance. 

Quentin Havaux, directeur de Vinopres

Quentin Havaux, directeur de Vinopres

Mais difficile de résister aux sirènes du monde du vin quand on baigne dedans depuis sa prime jeunesse. Aujourd’hui, Quentin Havaux reprend les idées du père et du grand-père mais  veut structurer davantage le groupe qui s’articule autour du CMB. “On a développé énormément de produits et maintenant on est en train d’essayer, de rassembler et de pouvoir capitaliser finalement sur ce qu’on fait de mieux, le Concours mondial de Bruxelles qui est vraiment notre marque forte.”

Pas étonnant que le CMB ait pris sous son égide, la direction du numérique avec l’introduction de l’intelligence artificielle dans la compilation des résultats et des commentaires des centaines de dégustateurs du concours avec la jeune entreprise bordelaise Wine Space (lire l’article ici). 

320 juges de partout dans le monde dégustent des milliers de vins à l'aveugle

320 juges de partout dans le monde dégustent des milliers de vins à l’aveugle

Aujourd’hui, le Concours s’est scindé en quatre groupes différents, les vins rouges et blancs, les rosés, les vins doux et fortifiés ainsi que les effervescents. “C’était une volonté qui est née avec le rosé car il y avait une vraie demande, à la fois de la production et des distributeurs pour le mois de mars et qui permettait d’avoir les médailles très rapidement pour pouvoir être opérationnel pendant la période de consommation. Après, les producteurs des effervescents et de vins doux ont demandé aussi une session pour qu’on ait des spécialistes qui puissent déguster ces vins-là en connaissance de cause.” 

Quatre concours dans quatre régions différentes, de quoi multiplier le casse-tête de la logistique. Mais cette logistique n’a jamais fait peur aux organisateurs qui ont réussi le tour de force il y a quelques années d’emmener le concours jusqu’à Pékin ! « On voyait des kilomètres de boulevards et d’avenues avec le logo de notre concours », se souvient Louis Havaux, avec cette petite étincelle de fierté dans l’œil.

Des pas de géants dans ce monde du vin

En trente ans, le concours a été au premier rang des changements dans le monde de la vigne et du vin. Constantin Stergides l’a constaté. “Avant, on avait beaucoup de vins défectueux, maintenant, c’est quasiment jamais. Aujourd’hui en dégustation, on n’a pas eu un seul vin qui soit défectueux.” Même chose pour les vins bouchonnés, de plus en plus rares. “À un moment donné, on avait mis une espèce de récipient vert et on mettait tous les bouchons des vins bouchonnés dedans, à la fin du concours, aujourd’hui c’est fini.”

Constantin Sergides

Constantin Stergides, juge représentant la Grèce au CMB

Avec le temps, le concours s’est lui aussi raffiné, toujours à l’affût d’une constante amélioration.  Ce qui fait dire à Jeffrey Jenssen, un juge américain qui écrit pour la revue Wine Enthusiast et qui en est à sa neuvième participation au concours que le CMB demeure la référence en la matière. 

“Il est très professionnel parce qu’il s’agit d’un jury international. Souvent, les concours californiens par exemple, sont organisés par une bande de juges californiens, et moi, j’appelle cela se regarder le nombril pour voir si quelque chose va changer. Et ça ne change jamais. C’est donc une bande de gens qui décernent à leurs amis des médailles d’or et des médailles d’argent. Mais ici, au CMB, je trouve que nous avons un vrai palais international.”

Jeffrey Jenssen, juge représentant les États-Unis

Jeffrey Jenssen, juge représentant les États-Unis

Pascale Guillier, caviste renommée et juge au CMB depuis de nombreuses années, abonde dans le même sens. “C’est une sécurité aussi pour les acheteurs, quand il y a une médaille du CMB sur une bouteille, ils savent très bien qu’il y a un panel de dégustateurs chevronnés derrière. »

« On n’est pas commercialisé dans le sens où tu n’as pas eu de médaille parce que t’as pris une page de publicité dans un magazine, c’est parce que vraiment, ton vin en vaut la peine. »
– Pascale Guillier, dégustatrice représentant la Belgique
Toujours plus haut, toujours plus loin

Après cette trentième édition qui s’est tenue en Croatie, la prochaine aura lieu, pour la première fois en Amérique du Nord, plus précisément à Leon, à 300 kilomètres au nord de Mexico. La région peut s’enorgueillir d’un riche patrimoine viticole qui remonte à l’époque coloniale puisque les « conquistadors » et missionnaires espagnols y ont introduit les premières vignes européennes.

Un coup dont n’est pas peu fier Baudoin Havaux. “Quand on en a fait l’annonce devant les 320 jurés à Porec, ils se sont tous levés, tellement enthousiastes devant cette nouvelle. On a bossé pour convaincre les Mexicains, mais ça fait plaisir. Et quand on a organisé ce repas avec la cuisinière mexicaine et qu’elle est venue dire deux mots, tout le monde s’est levé et a applaudi. Et ce n’était pas que par politesse, ajoute-t-il avec un grand sourire ému.

L'équipe du CMB

Parmi l’équipe du CMB, Selvaggia Oricchio veille à la coordination de la logistique entourant les 320 juges du concours

Même si le concours en Chine reste dans les mémoires de la famille Havaux, il ne semble pas y avoir de limites pour l’organisation de prochaines compétitions. Et pourquoi pas un autre continent ? « Malheureusement ce sont de trop petits vignobles, mais Il y a des vignobles en Afrique qui se développent et là où il y a des nouveaux projets viticoles, c’est là que j’aimerais bien amener les gens. »

En attendant, le CMB poursuit son développement, après le bar du concours qui a ouvert ses portes en 2019 à l’aéroport de Mexico où l’on peut déguster des vins médaillés, la famille Havaux compte bien se lancer bientôt à la conquête des salons “lounge” de la compagnie aérienne United à l’aéroport de Tokyo et de Londres. 

Louis Havaux

Louis Havaux, au centre raconte ses souvenirs du CMB à Pierre Thomas (à droite) et Emanuele Pellucci (de dos)

Alors que le Concours mondial de Bruxelles se terminait en Croatie et à l’annonce de la prochaine édition au Mexique, Louis Havaux avoue qu’il a repris la piqûre des voyages du CMB. “Tant que j’ai la santé, cela me tente de plus en plus, et si je peux y aller, dit-il avec ce petit clin d’oeil espiègle et complice, je te promets que je vais tout faire pour y assister.” 

Les péchés mignons des organisateurs du CMB

Même s’ils ne participent plus comme dégustateurs de façon officielle au concours, ils avouent avoir un bon penchant pour ces vins.

Louis Havaux : Sans hésitation, les vins de Saint-Émilion qui demeurent ses favoris, “Depuis 1986, je suis chancelier de la Jurade de St-Émilion pour la Belgique”, confie-t-il.

Baudouin Havaux : Le vin dont il ne pourrait se passer sur une île déserte : un jerez version fino. “Je vais être honnête et je pense que c’est le seul que je serais capable de boire tous les jours.”

Quentin Havaux : “Je suis un passionné de sherry, j’adore le côté salin et frais d’un fino et j’aime bien boire à l’apéro.” Une réponse qui a surpris son père Baudouin. : “La preuve qu‘il a été bien élevé” dit-il en souriant. Quentin ajoute qu’il affectionne aussi pour l’instant les puissants vins du Rhône du Nord sur la syrah avec ce côté épicé si typique.

Thomas Costenoble : “J’ai découvert le chasselas que je ne connaissais pas bien lors de l’édition du CMB à Aigle en Suisse en 2019. Je pensais que c’était pour pour skieurs en pleine ébriété en fin de session avec la fondue. Mais c’est beaucoup plus que ça, c’est à la fois un plaisir et un vin qui peut être très complexe et qui peut vieillir.” Pour l’œnologue de formation, le vin demeure sa passion. “C’est comme ses enfants, c’est difficile de choisir. Je les aime tous et je trouve beaucoup plus de plaisir à les découvrir. Et ce n’est jamais fini, c’est ça qui est fantastique.”