La Suisse, pépite(s) méconnue(s)
Du 7 au 10 octobre, Montréal retrouve les Sélections mondiales, qui étaient parties quelques années du côté de Québec. C’est l’association suisse Vinea, qui assurera, pour la première fois, le soutien technique des dégustations de cette compétition de vins du monde entier, «le plus important d’Amérique du Nord». Mais qui connaît les vins suisses ? C’est encore un «secret» bien gardé au cœur de l’Europe et des Alpes.
Par Pierre Thomas*, www.thomasvino.ch
Avec 15 000 hectares de vignes, la Suisse pèse moins de 2% du vignoble français : un timbre-poste collé sur la mappemonde vitivinicole… Elle produit, en moyenne, 100 millions de litres de vins indigènes et n’en exporte qu’1%. Car, le marché national, «éponge» la production locale.
Les Suisses — de plus de 15 ans, mais touristes compris — restent, au fil des ans, parmi les plus gros consommateurs de vins au monde, avec un peu plus de 36 litres par tête. A ce palmarès, seuls le Portugal (56 l.), la France (49,5 l.) et l’Italie (43 l.) devancent les Suisses.
Ce qui veut dire que la production suisse de vin ne permet de couvrir que moins de 40% des «besoins» du marché… Dans ces conditions, pas besoin d’exporter ses vins! Si vous voulez découvrir les pépites du vignoble suisse, c’est donc sur place qu’il faut vous rendre…
Vignoble suisse de Lavaux
Photo : Alissa De Leva
En Suisse, le monde du vin est très compétitif et avide de reconnaissance : les vins suisses sont présents dans les concours internationaux, comme le Concours Mondial de Bruxelles, et fort bien récompensés, et disputent des compétitions locales — des sélections cantonales —, nationales — le Grand Prix du Vin Suisse — qu’organise Vinea, la cheville ouvrière de Montréal, ainsi que des concours internationaux, où les vins suisses sont bien représentés, le Mondial des Pinots et le Mondial du Merlot, tandis que la fédération des concours internationaux, la Vinofed, a son siège à Sierre, au cœur du Valais, et vient d’accueillir le Mondial du Chasselas, célébrant le principal cépage blanc cultivé en Suisse…
La Suisse et ses 250 cépages
Difficile, quand on ne connaît pas les vins suisses, de les apprivoiser ! Au cœur du Vieux-Continent, le pays ne fait pas partie de l’Union européenne. Il n’a donc pas adopté la législation communautaire. Ses «appellations d’origine contrôlée» (AOC) sont très libérales et dépendent des cantons. Près de 90% des vins sont classés en AOC. Chaque canton a son système de répartition géographique, allant jusqu’au «grand cru», voire au «1er grand cru», différent d’une région à l’autre…
Plus de 250 cépages sont officiellement répertoriés sur un peu moins de 15’000 ha, où le rouge domine le blanc : le pinot noir vient en tête, avec 3875 ha, devant le chasselas, 3605 ha, le merlot, 1202 ha, qui vient de passer devant le gamay, 1145 ha. A part le chasselas, propre à la Suisse — un ancien cépage orphelin, pour lequel la recherche ADN n’a pas identifié de parents connus… —, les autres sont internationaux, tels le pinot, roi de la Bourgogne voisine à l’ouest, le merlot, importé de Bordeaux, et le gamay, originaire du Beaujolais, lui aussi voisin à l’ouest. En blanc, le chardonnay (400 ha) et le sauvignon blanc (200 ha) ont du succès, tandis qu’en rouge, derrière le trio pinot-merlot-gamay, se profilent des cépages développés dans les années 1970 à l’institut de recherches de Changins, le gamaret et le garanoir, propres à la Suisse. Comme le sont des cépages résistants aux maladies cryptogamiques de la vigne, et nécessitant peu de traitements, le Divico et le Divona, à côté des obtentions d’un génie du croisement naturel de variétés, Valentin Blattner, qui travaille en marge du monde scientifique suisse…
Une géographie écartelée par les Alpes
Il faut aussi s’habituer à la géographie helvétique. 15 000 ha, ça n’est, finalement que la surface de l’Alsace, la rive française du Rhin, qui s’étend d’un seul tenant de Mulhouse à Strasbourg… Sauf qu’en Suisse, ces 15 000 ha se répartissent aux quatre coins du pays, dans les bassins versants des fleuves européens que sont le Rhin (canton des Grisons), le Rhône (de son glacier, en Valais, jusqu’à Genève, en passant par Vaud), et, au Sud des Alpes, le Tessin, qui se jette dans le Pô italien.
Le Dézaley est à la fois classé Grand Cru, majoritairement en chasselas, et au Patrimoine mondial de l’UNESCO, comme la région de Lavaux, entre Lausanne et Vevey, sur les bords du Léman. (photo Pierre Thomas)
Les lacs jouent un rôle de régulateurs climatiques : Léman, lacs de Neuchâtel, Bienne et Morat — qui ont donné son nom à la région dite des Trois-Lacs —, lac de Zurich, lac des Quatre-Cantons, où Lucerne connaît un essor vitivinicole étonnant, lac de Constance… Les sillons des rivières qui se jettent dans ces lacs sont aussi des micro-climats favorables à la vigne, cultivée sans doute par les Romains, puis relancée, au Moyen-Âge, un peu partout par les moines, venus de Bourgogne ou d’Allemagne.
Vignoble Saillon dans le Valais (swisswine.ch)
La place à part du Valais
Avec un tiers des vignes, le canton du Valais tient une place à part dans le petit monde du vin suisse. Dans cette haute vallée du Rhône reconnue comme une steppe continentale (comme Napa Valley, sur la côte ouest des Etats-Unis ou certaines régions espagnoles des pieds des Pyrénées), les cépages internationaux, comme la syrah ou le cabernet franc, prospèrent, à côté d’une collection de variétés alpines (avec, souvent, des parents dans la vallée d’Aoste italienne), tels, en blanc, la petite arvine, l’humagne blanche, la rèze ou le completer (rare cépage des environs de Coire, dans les Grisons, qui célèbre ses 700 ans en ce mois d’octobre !), et en rouge, le cornalin, l’humagne rouge ou le diolinoir.
Un vignoble jeune et dynamique…
Le vignoble suisse bouge beaucoup. Les domaines sont petits, entre 2 et 10 ha. L’école de Changins, qui forme des ingénieurs-œnologues, est réputée — elle accueille des filles et fils de producteurs français célèbres ! —, assure un savoir-faire dans toute la Suisse. Les enfants des vignerons du renouveau suisse, qui date d’une trentaine d’années, ont tous été «voir ailleurs», en France, mais aussi en Californie, en Australie, en Afrique du Sud ou au Chili…
… et un guide pour le parcourir !
Impossible, dans une chronique comme celle-ci, de brosser le tableau d’un si riche paysage… L’éditeur allemand emons: m’a commandé un ouvrage dans sa collection «111 lieux» (plus de 400 titres parus). En l’occurrence, il s’agit ici de «111 vins suisses à ne pas manquer». Au travers d’une sélection de 33 vins du Valais, 22 de Vaud, 13 des Trois-Lacs, 10 du Tessin, 10 de Genève, 7 des Grisons, 5 de Zurich, etc., j’ai essayé de coller le plus près possible à la réalité vitivinicole suisse. J’y commente des vins tirés de 27 cépages blancs et de 24 cépages rouges. J’ai forcé le trait volontairement pour décrire des domaines où la relève, souvent féminine, a déjà pris ses responsabilités, mis l’accent sur la culture biologique et biodynamique, en progression constante, et sur l’originalité des démarches, le fameux «story telling», dont se nourrissent, aujourd’hui, les amateurs de vins. Un livre de 240 pages à découvrir dès sa sortie de presse, à mi-octobre, qui se réserve déjà sur Amazon.ca.
Pour boire du vin suisse au Québec
De jeunes Suisses, sortis de l’École hôtelière à Lausanne ont lancé cette agence d’importation privée au Québec : https://swissgrapes.ca/collections/tous-les-vins
Pierre Thomas est un journaliste suisse, né à Lausanne, où il réside. Après une carrière généraliste (correspondant parlementaire à Berne, chef d’édition, rédacteur en chef), il s’est spécialisé dans les vins. Dégustateur dans de nombreux concours nationaux et internationaux, notamment pour plus de vingt éditions du Concours mondial de Bruxelles, il écrit des reportages, des chroniques et des livres. Ses archives se consultent en ligne : www.thomasvino.ch.