Y’a-t-il deux solitudes parmi les dégustateurs de vins ?
Il est de ces études universitaires sur le vin qui font parfois sourire. L’une vante les mérites de boire du vin tous les jours pour vivre vieux, alors qu’une autre prétend le contraire. Dernière en date, celle d’une chercheuse de l’université Concordia qui s’est penchée sur les résultats de deux différents panels de dégustation, l’un à Montréal et l’autre en Colombie-Britannique.
L’objectif que voulait vérifier Bianca Grohmann : comparer l’analyse de dégustation de connaisseurs de vins qui habitent dans deux régions différentes. Existe-t-il des préférences sensorielles particulières selon que l’on vienne de la vallée de l’Okanagan en Colombie-Britannique ou de Montréal ?
Pour ce faire, la chercheuse leur a fait goûter 7 vins différents lors des deux sessions de dégustation. Un choix peut-être discutable vu la forte proportion de vins du Nouveau Monde…
Les 7 vins mis à l’épreuve
Carinena Reserva, Monasterio de las Vinas, 2006, Espagne
Jackson-Triggs, Reserve Merlot, 2014, Canada
Gray Monk, Pinot noir, 2015, Canada
30 Mile, Shiraz, 2014, Australie
Apothic Red, 2015, États-Unis
Road 13, Honest John, 2014, Canada
Château Eugénie, Tradition, 2015, Cahors, France
Des résultats étonnants…ou pas…
D’une manière générale, l’analyse sensorielle des 7 vins semblait plutôt homogène dans les deux régions. Ce qu’il est ressorti par contre de la comparaison, c’est que les dégustateurs de Montréal ont donné de meilleurs cotes aux vins qui comportaient des attributs tirant vers le végétal, les arômes épicés, l’acidité, l’équilibre global ainsi qu’une attitude plus ouverte à d’éventuels défauts de nez.
Du côté du panel de l’Okanagan, on semblait plus enclin à accepter des vins plus « industriels » tels que l’Apothic Red… La Côte Ouest a associé aussi la qualité du vin à la présence d’arômes épicés alors que Montréal préférait les vins un peu plus « off » au nez et privilégiait davantage l’équilibre.
Bref, la filiation virtuelle de l’Ouest canadien avec le Nouveau Monde et celle de Montréal avec la filière du Vieux Monde semble jouer un rôle non négligeable dans ces différences d’appréciation.
Bianca Grohmann, chercheuse à l’École de gestion John- Molson de l’Université Concordia
Le rôle de la formation et le milieu socio-culturel
Selon les conclusions de cette étude, la formation suivie d’une manière générale par les dégustateurs influence aussi leur perception et appréciation du vin. Ainsi, selon Bianca Grohmann, le fait que dans le Canada anglais, les spécialistes ont plus tendance à suivre les cours du WSET, le Wine and Spirit Education Trust (établissement basé à Londres qui fournit l’un des diplômes les plus prestigieux dans le milieu) alors que dans un environnement plus francophile comme Montréal, c’est davantage l’influence d’écoles de sommellerie. Quant au milieu socio-culturel, il a évidemment une bonne dose de responsabilité, puisque l’éducation et la disponibilité des vins dans telle ou telle région influenceront aussi l’évolution du dégustateur.
Qu’en penser ?
Pour avoir vécu et étudié le vin dans l’Ouest canadien, force est de constater l’évidence. À l’autre bout du pays, les vins du Nouveau Monde pullulent davantage que les vins de la vieille Europe. Question de palais et de proximité avec les États-Unis ou encore l’Australie… Quant à la formation suivie, j’avais choisi justement le WSET. Par contre, mon éducation socio-culturelle (provenant de mon Europe natale) m’a toujours fait « baigner » dans les vins du Vieux Monde. Je suis en quelque sorte à cheval sur les deux solitudes… Est-ce le meilleur des deux mondes ? Le débat est ouvert…
Il reste que l’impact et la responsabilité des dégustateurs (chroniqueurs, sommeliers et autres) sur le goût des consommateurs ne sont pas à négliger puisque leurs choix et recommandations façonnent aussi le goût et les préférences de leur public. Alors que petit à petit le Canada anglais raffine son goût et réoriente un peu ses papilles vers le Vieux Monde, il n’est pas impossible que le Québec, à la connaissance et ouverture d’esprit plus favorable à de nouveaux territoires vinicoles, choisisse de continuer à étendre ses tentacules vers de nouveaux horizons.
Mais, la disponibilité des différents produits vinicoles (davantage européens au Québec et plus Nouveau Monde dans l’ouest canadien) aura toujours un poids inévitable dans les goûts et appréciations tant des connaisseurs que du public. Bref, les différences de palais dans les deux solitudes risquent de perdurer… Et d’aiguiller les budgets de marketing des groupes vinicoles pour préserver ces préférences territoriales… (FA)
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