Achèteriez-vous ce vin à cause de l’étiquette ?

étiquette sur les bouteilles de vin, Achèteriez-vous ce vin à cause de l’étiquette ?

« Rien à foutre des voisins », « #Ça, connard », « Calme-toi donc », « Mais de quoi tu parles ? », « Entouré d’idiots », « Sois nu(e) quand j’arrive à la maison »… Non, ce ne sont pas des bribes de dialogues d’un quelconque téléroman, mais bien ce que l’on trouve sur l’étiquette des vins du domaine vinicole « Church and State », situé dans la vallée de l’Okanagan.

Un texte de Frédéric Arnould

Un choix de label pour attirer le client, qui, il faut bien le dire, a plus que l’embarras du choix quand il fait face à des milliers de vins disponibles sur les étagères. Faut-il donc miser sur l’étiquette pour vendre ? Et le consommateur, peut-il s’y fier ou doit-il s’en méfier ?

Lost Inhibitions

Cliquer sur l’image pour voir un échantillon de ces étiquettes

C’est le premier avril que ces étiquettes ont commencé à se répandre comme une traînée de poudre dans le milieu des critiques de vin. Certains ont pensé que ce lancement était un poisson d’avril, d’autres connnaissaient « l’apôtre » qui se cachait derrière ce coup de marketing et savaient donc à quoi s’en tenir. Ces étiquettes dont certaines se traduisent plutôt mal en français, c’est l’oeuvre de Bernie Hadley-Beauregard, un fou du marketing, originaire de Montréal et dont l’entreprise Brandever, a pignon sur rue à Vancouver. Il a fait du « branding et du « rebranding » (Excuse my French !), sa spécialité. Une aventure qui a commencé en 2002 lorsque les propriétaires d’un domaine de l’Okanagan semblaient bien dépourvus quand venait le temps de faire la promotion de leurs vins.

blasted church

Et pour cause, leur domaine s’appelait Prpich Hills. Non, il ne manque pas de voyelles, alors imaginez le défi de prononciation pour les clients potentiels. Donnez-moi une bouteille de Prppchhhjbcchh…Oh puis non je vais prendre ce merlot-là, à la place. Bernie Hayley Beauregard a donc lancé l’idée de l’appeler dorénavant « Blasted Church » en référence à une église qui avait été démantelée à l’aide d’explosifs avant d’être relocalisée. Le pari a marché et ce vignoble est l’un des plus en vue dans la vallée de l’Okanagan.dirty laundry

La suite ? Une création de logos et de nouveaux noms tels que « Dirty Laundry » (inspiré par un travailleur chinois du chemin de fer qui avait ouvert une buanderie qui faisait surtout office de bordel), mais aussi « Laughing Stock » (pour un domaine tenu par des anciens courtiers en bourse et dont le label ressemble à des valeurs boursières), ou encore « Megalomaniac » (un vignoble du Niagara géré par un propriétaire à l’égo bien assumé).

Question de survie

Mais pourquoi aller aussi loin que ces « Hashtag this motherfucker », Carpe diem bitches » et « Fuck the neighbours » dans le cadre de la série spéciale « Lost Inhibitions » de Church and State ? Bernie Hadley-Beauregard a fait le calcul : #this motherf*cker« Il y a 8 000 vignobles en Amérique du nord et 27 000 en France seulement. Si chaque domaine produit une dizaine de vins, cela veut dire 350 000 vins différents, il faut donc attirer le client si on veut vendre son produit ». Ce qu’il veut, c’est que ces vins provoquent une conversation autour de la table, qu’on en parle et surtout qu’on apprécie ce qu’il y a dans la bouteille. Faut-il donc dire adieu à la traditionnelle étiquette arborant fièrement le château du domaine ?  » Non, répond-il, mais cela devient difficile de se démarquer dans ce marché où le consommateur est submergé de produits ».

Faire vendre de la piquette ?

Ces deux vins (un rouge et un blanc) sont donc « affûblés » d’une centaines d’étiquettes différentes avec ces petits phrases provocantes. Selon Bernie Hadley-Beauregard, l’idée c’est d’attirer un consommateur qui va découvrir ce vin grâce à l’étiquette et qui sera peut-être tenté d’essayer la gamme des autres vins produits par le domaine « Church and State ».  « C’est un peu comme essayer la MINI Cooper (produite par BMW) et être tenté d’essayer ou d’acheter ensuite la vraie BMW. Dans le cas de « Church and State », on parle ici de vins de grande qualité pour certaines bouteilles. Même la célèbre grande connaisseuse du vin, Jancis Robinson, avait qualifié la syrah « Coyote Bowl » de 2009 du domaine, comme étant le meilleur vin rouge produit au Canada. Bernie Hadley-Beauregard est conscient que certains feront l’équation entre marketing et vin « cheap » mais il rétorque : « Combien de piquettes se cachent derrière des étiquettes avec des faux châteaux ? Certains croient, à tort, que ça doit forcément être un bon vin si l’étiquette à l’air prestigieuse ». Et dans le cas de la série « Lost Inhibitions », dit-il, ce sont de bons vins bien faits.

Après les animaux…

brandeverIl y a quelques années, c’était les bestioles qui pullulaient sur les étiquettes. Le kangourou du Yellow Tail, les « Little Penguins » et autres « Funky Llama » encombraient les tablettes des magasins d’alcool. Ces jours-ci, à part le kangourou qui peine à survivre dans le coeur des consommateurs, ces animaux ont pas mal disparu. Effet de mode ou lassitude du client, faut-il dès lors s’attendre à une disparition future de ce type de marketing dans le cas des concepts de Brandever ? Bernie Hadley-Beauregard pense que c’est cyclique et que le durée de vie de certains concepts est de l’ordre de 5 à 8 ans pour certains projets.  C’est normal, ajoute-t-il, celui qui veut assurer la pérennité de ses produits se doit de changer parfois de tactique et pourquoi pas de nom ».

Et le vin alors ?

Pour le domaine Church and State qui a accepté ce pari de Brandever, le succès est au rendez-vous. 7000 caisses de ces vins aux étiquettes « fleuries » ont été produites, et les propriétaires n’arrivent plus à fournir à la demande.

Brandever2

Tenez-vous bien, le blanc de la série Lost Inhibitions se compose dans l’ordre d’importance de viognier, de gewurztraminer,  de sauvignon blanc, de chardonnay, de riesling, de muscat et de roussane ! Tout un mélange mais qui se tient plutôt bien avec des arômes floraux, d’agrumes et des notes de nectarines, de pêches blanches et d’abricot. Bien équilibré et agréable. Le rouge lui, est constitué majoritairement de merlot puis de cabernet franc, de malbec et de petit verdot. Cerises noires sucrées, cassis, avec des effluves de cacao et de vanille donnent naissance à ce vin, plaisant et pas compliqué en ce printemps.

Et vous, achetez-vous un vin en fonction de l’étiquette ?

 

One comment

  • Julien Marchand

    J’ai pu goûter à quelques reprises les produits de Blasted Chruch et j’ai été bien impressionné, dommage qu’ils ne soient pas disponibles au Québec.

    Faire du marketing provocateur, ça peut rejoindre une partie de la clientèle, mais les amateurs de vin sauront aller au-delà de ça. Si le vin est bon, ils vont passer par-dessus l’étiquette, qu’elle soit laide, accrocheuse ou « gimmicky ».