Alors, tu seras sommelier…
Il est Lyonnais, porte un nom breton, a travaillé dans les grands restos étoilés, évolue dans le monde du vin au Québec depuis 2006 et forme les sommeliers de demain à l’École hôtelière de la Capitale. Un parcours pas banal pour Kler-Yann Bouteiller qui est aussi, entre autres choses, l’un des sommeliers de « Tout le monde en parle ». Un nom prédestiné ? Probablement quand on sait qu’un « bouteiller » était un personnage chargé de l’intendance du vin à la cour d’un roi ou d’un prince. Rencontre avec un professionnel sympa qu’on aimerait amener avec nous chaque fois qu’on va s’acheter du vin.
Par Frédéric Arnould (lefred@toutsurlevin.ca)
C’est dans un populaire restaurant bistro de la rue St-Denis de Montréal que je rencontre Kler-Yann Bouteiller. Après avoir commandé une assiette de rognons de veau à la moutarde, il l’accommode avec un bourgogne rosé de l’appellation Irancy. Ça tombe bien, il fait soleil dehors en cette journée d’automne. L’homme est sympathique, humble et surtout, il sait de quoi il parle. Celui qui a déjà œuvré au restaurant de Georges Blanc (trois étoiles Michelin), à celui de la « Palme d’Or » (restaurant de l’hôtel Martinez, deux étoiles Michelin) et l’Utopie à Québec (aux côtés du chef Stéphane Modat), enseigne aux futurs sommeliers de la vieille capitale.
Sommelier à Québec ?
La passion est la même, mais le bassin de restaurants et de professionnels est différent, estime Kler-Yann. « Il y a une qualité de vie qu’on choisit, y’en a qui aiment Montréal, y’en a qui aiment Québec. Pour moi, Québec c’est un gros village, une grosse ville suffisamment « trippante » pour faire plein de choses et assez calme pour pouvoir s’y reposer. Moi je viens d’une petite campagne à côté de Lyon, donc je bénéficiais de toute l’agglomération lyonnaise et j’avais tout le calme de ma campagne, c’est ce que j’ai pu retrouver à Québec. » Mais qu’est-ce qu’un sommelier en 2015 ? « C’est un terme qui devient de plus en plus large, quand on parle de sommelier, faut qu’on serve dans un restaurant, moi j’ai œuvré dans les restaurants pendant plus de 10 ans, maintenant principalement j’enseigne à l’École hôtelière de la Capitale. Si je devais dire en quoi je crois le plus, c’est vraiment l’éducation. Oui, enseigner mais aussi quand on fait des écrits. J’écris pour le magazine Exquis, aussi pour la SAQ Cellier, pour différents médias et au-delà de présenter une bouteille, « bonjour buvez ça, c’est bon », j’essaie de travailler très fort pour que les gens comprennent ce qu’il y a à l’intérieur de la bouteille. Cela ne se limite pas juste à l’étiquette est belle ou à une recommandation de ma part qui vaut ce qu’elle vaut finalement, parce que moi j’aime la Bourgogne mais je ne rejoins pas nécessairement tout le monde avec ça. Pourquoi ce vin est valable, qu’est-ce qui fait qu’il est bien fait et que éventuellement il pourrait être intéressant à déguster. Après, que vous l’aimiez, que vous l’aimiez pas, c’est une question de goût. Si y’avait juste un seul goût sur la planète, y’aurait juste un seul vin et on ne serait pas là aujourd’hui. »
Tout le monde en parle ?
Comment devient-on l’un des sommeliers attitrés d’une des émissions les plus regardées au Québec ? « J’ai reçu un courriel tout simplement me demandant si je voulais faire une recommandation, j’ai dit oui, puis à partir de là, de fil en aiguille, ça revient de temps en temps. » Un scoop pour le prochain vin ? « Non, on ne vend pas le scoop. »
Vive la Bourgogne !
« Je ne cacherai pas que j’ai toujours eu un petit faible pour la Bourgogne, j’ai fait une formation de 5 ans en école hôtelière et je me suis retrouvé aux portes de la Bourgogne, chez Georges Blanc. Les deux jours et demi de congé qu’on avait, on les passait littéralement dans le vignoble. On gardait une petite journée pour la lessive et l’épicerie. On était une équipe de sommellerie de 3-4 personnes, on parcourait la Bourgogne, puis y’a un chef sommelier, Fabrice Sommier qui est toujours en place qui, je pense, m’a vraiment donné la véritable bonne piqûre de la sommellerie. La Bourgogne pour moi, c’est une petite intimité. Je ne suis pas arrivé par la Bourgogne parce que j’ai découvert d’autres régions avant. J’ai commencé par la Bourgogne, donc les premières amours sont toujours les plus belles, et c’est une très belle histoire d’amour.»
Soyez curieux !
Lui qui forme les sommeliers de demain estime-t-il que une formation en classe est suffisante pour s’afficher comme tel ? « On donne un cours de 450 heures et on ne se mentira pas, y’a beaucoup de géographie, des appellations et des cépages à apprendre, mais la première chose que je dis à mes élèves c’est « je me fous un peu que vous appreniez par cœur, que vous me recrachiez ça dans une évaluation, moi ce qui m’intéresse c’est de savoir ce qui va rester après ». Donc, essayez de comprendre, de structurer la démarche pour arriver à une réflexion qui a du bon sens ». Il prend comme exemple le bourgogne rosé que l’on boit. « Si l’étudiant ne sait pas quel est le cépage qui rentre dans ce vin de couleur pâle, j’aimerais qu’il soit capable d’analyser la couleur, en dégustation, le type d’acidité, la concentration pour essayer d’identifier le type de climat etc. S’il me donne 3 types de cépages qui correspondent au climat, pour moi c’est intéressant. »
« Prends soin de toi et de ta profession, elle est si belle ». Et n’oublie pas ce que Paul Bocuse a dit: « Quand on pense avoir réussi, c’est déjà qu’on a loupé ». Extrait de sa « Lettre à un jeune sommelier ».
Assez de place pour tous les sommeliers ?
Et la profession ? Est-ce que tous les appelés, ils sont nombreux, gagneront bien leur vie grâce au vin ? « J’ai l’impression que ça se tasse un peu, pas juste dans la sommellerie mais aussi dans la restauration, donc reste à voir si ça va continuer. Est-ce qu’il y a de la place pour tout le monde ? Je pense que oui. Sachant que moi, je forme à peu près 46 personnes par an juste à l’école d’Hôtellerie à Québec, est-ce que ces 46 personnes vont devenir sommeliers ? Non, ça c’est sûr. D’ailleurs, ce qu’on dit quand ils rentrent : vous suivez une formation de sommellerie, vous allez avoir un diplôme de sommellerie, mais cela ne fera pas de vous des sommeliers, ça va vous mettre un pied à l’étrier et ensuite par vos expériences, vous allez décider de devenir ou pas un sommelier. » Si on est capable de former des conseillers pour les magasins de la SAQ ou des agents en vins plus tard, et non pas juste des « vendeux de voitures », je pense que la mission est accomplie. » Alors que la starisation des chefs déborde aussi sur le secteur de la sommellerie, il met en garde les débutants. « J’ai écrit sur mon blogue une texte qui tirait un peu la sonnette d’alarme. Il va falloir faire ses preuves à un moment donné. Une visibilité, ça reste quelque chose d’éphémère, mais après quand on est face à la réalité professionnelle, c’en est une autre. »
« Récemment, j’ai parlé à un sage fou. Je te partage un moment marquant de notre échange: « Sois fier de ce que tu fais, c’est ta meilleure carte de visite. » J’aimerais que cette carte ne soit pas que la mienne. Elle t’appartient aussi, alors glisse-la dans ton portefeuille, tu devras la sortir régulièrement. Elle sera la gardienne de ton intégrité et crois-moi, elle sera mise à rude épreuve. Extrait de sa « Lettre à un jeune sommelier »
Dictature de l’accord mets-vin ?
Avec la multiplication des blogues, articles, émissions de cuisine et consorts, force est de constater que les accords mets et vins sont de plus en plus présents et suggérés. Un pinot grigio avec un tartare de cheval ou un merlot avec des huîtres seraient pour beaucoup et disons-le, avec raison, des crimes de lèse-majesté. Mais faut-il pour autant toujours boire un gewurztraminer avec un plat thaïlandais épicé ou un cabernet-sauvignon avec une côte de bœuf ? Kleryann prône avant tout le plaisir. « Je dis toujours allez-y avec ce qui vous tente. Par exemple, ça m’est déjà arrivé de boire un cabernet-sauvignon avec une salade César, parce que j’en avais envie, de ce cabernet. »
En rafale…
Le vin pour la fin du monde ?
- Si je ne devais en boire qu’un seul (ce qui serait triste), Volnay est mon chouchou, mais pour la fin du monde ? Champagne !
Le pire vin jamais bu ?
- Le monde se lève pour travailler et faire vivre une famille, je n’ai donc pas la prétention de tirer à boulets rouges sur un vin, mais je dois dire que des vins de basilic mal vieillis dans un garage d’auto, c’est pas mal mon top…(rires)
Le plaisir liquide coupable inavouable ?
- La bière d’épinette (tiens, comme François Chartier, NDLR)
Le choix du vin, du repas et de l’invité de votre choix (hormis la conjointe, bien sûr) pour une soirée exceptionnelle, ce serait quoi et avec qui ?
- Un coteaux de l’Aubance avec mon oncle Michel, aujourd’hui décédé. Éclats de rire garantis, belle philosophie de la vie. Des rillons sur la table, c’est tout. (Résidus de viande de porc que l’on a fait fondre pour en obtenir la graisse) – équivaut à des grattons.
Est-ce qu’il y a encore vraiment du mauvais vin vendu à la SAQ ?
- Du vin moins bien fait oui, du mauvais vin je ne pense pas. Un des rôles de la SAQ est d’assurer à sa clientèle une qualité minimum.
« LE » conseil pour un jeune qui veut devenir sommelier ?
- Active ta compréhension des choses et ton sens de l’analyse, n’apprends pas par coeur.
Alors, je vous l’avais pas dit, que vous auriez envie de le ramener à la maison, ce Kler-Yann ? Une belle soirée garantie de bonne bouffe et de bons vins (probablement du Bourgogne…) À la bonne vôtre ! (extrait sonore de l’entrevue ci-après)