Elyse Lambert, prête pour les jeux olympiques du vin
Comme une athlète de haut niveau, elle se nourrit des succès, des prix et de la « dopamine » que fournissent les compétitions mondiales. Elyse Lambert a tenté le 19 avril de remporter la somptueuse appellation de meilleure sommelière du monde à Mendoza, en Argentine. Elle a terminé cinquième sur 61, toute une performance ! Retour sur un parcours rempli de sacrifices, de joies et d’amitié. À lire et/ou à écouter…
Par Frédéric Arnould (lefred@toutsurlevin.ca)
C’est au restaurant Graziella, à Montréal, que je rencontre celle qui a déjà remporté le titre prestigieux de Master Sommelier (la première du Québec), de meilleure sommelière du Canada et qui a fini dans le top 12 du concours mondial en 2010. C’est là qu’elle travaille, de temps en temps, ces jours-ci, juste pour ne pas perdre la main.
Commençons par la question qui tue : Pourquoi veut-elle devenir la meilleure sommelière du monde ?
« Par pur dépassement personnel, quand on étudie dans nos livres, on passe beaucoup de temps avec soi-même. Je suis une personne compétitive de nature puis quand j’ai commencé à goûter à la compétition en 2004 quand j’ai gagné le concours de meilleur sommelier du Québec, j’ai mis le bras dans l’engrenage. C’est comme la dopamine, j’ai fait du sport toute ma vie, ça fait aussi partie de cette envie-là. Je suis une fille qui aime la performance. C’est une aussi une façon déguisée de se tenir à jour…Y’a aucun sommelier qui va lever un jour et se dire je vais lire sur le Hongrie. » Bref une discipline forcée nécessaire pour progresser dans ce métier « perpétuel ». « Le monde du vin continue continuellement à avancer et donc on se retrouve non pas à faire surplace mais à reculer si on ne fait rien et c’est ça qui est dangereux »
Une athlète du vin
Alors que fait-elle à quelques semaines du concours mondial ? « Je suis en train de me poser moi-même des questions d’examen, ce qui me permet de voir si ma matière est bien comprise, assimilée et si elle est complète. De la révision et aussi des détails sur les derniers millésimes et aussi la compréhension des producteurs dans chacune des régions. Donc mon quotidien, 3 heures par jour le matin dans mes livres, puis de retour dans les livres après notre rencontre. Après ça, entraînement physique, 3-4-5 fois par semaine (du spinning en ce moment) et quelques intervalles pour changer la routine. Et beaucoup d’entraînement avec les différents coachs de vins, de bières et de thés. »
C’est la deuxième fois qu’elle se mesurera aux meilleurs de la planète, que retient-on de la première fois? « L’expérience est différente en soi parce qu’on sait à quoi s’attendre, comme je connais le format je m’y suis préparée un peu plus mentalement, un peu de visualisation, un petit peu de méditation…Pour être capables de me surprendre, va falloir qu’ils me sortent quelque chose de vraiment bizarre…et puis la différence c’est aussi 6 ans de plus, six ans à parcourir le monde, à voir des régions. »
Quatre jours de torture olympique
Le mondial de la sommellerie, ça ressemble à quoi ? « C’est vraiment les Olympiques du vin. Dans un premier temps, c’est une compétition avec 58 candidats à ce jour qui seront mis à l’épreuve pour un examen écrit, un de dégustation et un de service. Et de ces 58 candidats seront déterminées ceux qui seront les 12 plus forts. Et de ces 12 plus forts dont je faisais partie en 2010, on saura qui seront les 3 plus forts avec un autre examen de dégustation, de théorie et de service. Ce n’est pas de la torture, mais ça crée un drôle de sentiment. La dernière fois, j’avais l’impression d’avoir une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Y’a beaucoup de stress et c’est la gestion du stress qui va faire une grosse différence. »
De qui faut-il se méfier ?
« Je n’ai pas vraiment regardé qui était ma compétition. J’ai su très tôt que certaines des grosses pointures mondiales n’y seront pas parce qu’elles ont déjà gagné. Paolo Basso et Gérard Basset faisaient partie des plus grosses pointures mondiales depuis 10 ans. Ils s’acharnaient à faire ces concours-là. Basso a réussi en 2013 et Basset en 2010, donc ceux qui monopolisaient une grosse partie du podium, ont accroché leur tablier de compétition parce qu’ils ont obtenu ce qu’ils voulaient. Ça implique que ceux qui étaient inclus dans le top 3 mondial n’y sont pas cette fois-ci, donc on rebrasse les cartes. Ma plus grande compétition, ce sera moi-même, je ne vais pas me laisser distraire par le reste. »
Détermination à tout prix
« Je me donne la possibilité d’être satisfaite avec un podium, mais c’est sûr que je ne vais pas là pour perdre. C’est certain que l’ultime pour moi ce serait d’aller chercher la première marche et de ramener pour la première fois au monde ce titre-là au Canada, au Québec. C’est possible, c’est pensable, puis je suis prête à ça, je fais des sacrifices pour y arriver. Pour l’instant, mon travail de préparation s’est arrêté au 19 avril. Je ne suis absolument pas dans l’après ! Alors que le concours est très proche, l’après est extrêmement loin. J’ose espérer que je saurai le gérer, que j’aurai les gens pour m’aider à le gérer quand on aura les résultats. »
Et si on gagne ?
« Je vais commencer par prendre du temps avec ma famille, mes amis pour profiter de ce moment-là. Ce moment-là d’allégresse qui suit une compétition, il y en a un…Ça va être un espèce de gros pow-wow. Après, on verra, je ne sais pas si j’aurai envie de recommencer tout ça, c’est beaucoup de sacrifices. »
MISE À JOUR : Elle a terminé cinquième sur 61, toute une performance !
De lourds sacrifices sur le plan social, familial et financier…
« J’ai 42 ans, si je veux des enfants…
Ça c’est un sacrifice qui fait quand même partie du cheminement d’une femme. Si je repars en concours…J’en aurais peut-être pas des enfants, pis c’est la vie.
Mes sœurs en ont, pis je passe du temps avec les petites. La vie est bien faite, si ça doit arriver, c’est tout. Et après ça, c’est aussi un sacrifice financier. Ça fait 4 mois que je ne bosse pas. Je bosse un peu à gauche et à droite pour garder mon service en place, c’est difficile sur le plan financier. Mais, je suis privilégiée, y’a des gens qui m’ont donné du temps, de l’énergie, du financement. Comme une athlète ? Oui, tout à fait ! »
Premier souvenir du vin ?
Son premier souvenir de vin, c’était lorsque sa grand-maman avait reçu des bouteilles qui ont éveillé sa curiosité dans le temps des fêtes et c’était du Black Tower et du Blue Nun, deux vins de l’époque où les vins atrocement sucrés faisaient les beaux jours des buveurs de vins au Québec. « Je ne les ai pas goûtées mais j’étais fascinée par ça. Ça faisait partie de la table, ma mère et ma grand-mère cuisinait beaucoup, le quotidien pour nous c’était fondamental. »
Du Cellier des dauphins ?
Pendant 10 ans, son père a bu du Cellier des dauphins. Maintenant, elle garnit sa cave…mais avec des vins à prix raisonnables. « Il fait partie des consommateurs au Québec qui sont confortables avec un budget de 15 à 20 dollars la bouteille et je me fais un devoir de respecter son budget.Si j’achetais une bouteille à 3500$, il ne me le pardonnerait pas, il serait vraiment fâché après moi. Et je l’ai essayé. Dans le temps, j’avais apporté une bouteille plus dispendieuse à la maison, autour de 70 $. Mon père était presque scandalisé du prix qu’on avait payé pour cette bouteille-là. Il ne comprenait qu’on puisse dépenser autant d’argent pour du vin. »
Plaisirs coupables ?
« L’été, j’aime bien boire de la slush puppie ! Celle à la framboise bleue. Je devrais même cacher pour boire ça, mais c’est la seule boisson sucrée dénaturée que je bois, je bois très peu de jus et aucune liqueur douce. Sinon de la bière avec une bonne mousse, ça me fait vraiment plaisir. Ou j’aime bien le bourbon aussi, neat ! En vacances, c’est du Campari avec un peu de jus de pamplemousse fraîchement pressé. »
Le même vin tous les jours ?
« Ce serait probablement du Puligny-Montrachet, en tout cas un blanc. Pour du rouge, ce serait du nebbiolo (barolo, barbaresco).
Le vin du condamné à mort ?
« Un vieux Mouton ou un vieux vin de chez Leroy en Bourgogne. La Bourgogne je la préfère jeune alors que le bordelais, je le préfère vieux. Donc le vin de la chaise électrique, ce serait un Bordeaux, mais je ne sais pas, j’espère que ne serai jamais condamnée à la chaise électrique. Et j’imagine qu’ils ne me feront pas boire de vin avant. Ils vont me faire sûrement boire du vin pour me punir, donc du vin mauvais…»
Le Vignaverde, un vin blanc du cépage grillo qui vient de la Sicile. C’était salin, frais, minéral, tendu, rafraîchissant, c’était le printemps. Pour moi le vin, c’est beaucoup selon les saisons.
Du poulsard, du etna rosso ?
« Le consommateur québécois est un curieux, infidèle Il goûte à quelque chose, il trouve ça bon, il va le boire à quelques reprises, là il va retourner à la SAQ, puis il va demander qu’est-ce que tu as de nouveau encore, qu’est-ce que t’as reçu ? »
Les Québécois et les vins sucrés ?
On leurre le consommateur. Au départ, il ne s’attend pas à boire un vin qui est sucré. En fait, ce qu’il ne sait pas c’est qu’on met du sucre dans son vin. Il trouve ça bon, et il ne sait pas pourquoi il trouve ça bon. Et à moment donné on lui dit, ben tu trouves ça bon parce qu’il y a 9 ou 18 grammes de sucre résiduel dedans…Mais le sucre c’est une drogue.
Sus donc au Apothic Red et Ménage à trois. Élyse se fait un devoir d’amener par la main ou par le verre, à découvrir autre chose avec du grenache, du zinfandel, du malbec, avec un côté fruité naturel qui donnera à certains l’impression de sucre…
Alors, qu’est-ce qu’on lui souhaite ? De la santé, pardi, pour son nez vif et fin afin de remporter la médaille de Buenos Aires…
Pour en savoir plus sur le vin qui l’a plus émue, ce qu’elle pense des tendances « vin », sur les portes qu’elle ouvre pour ses protégés, ce qu’elle a manqué pendant toutes ces années de concours, son premier voyage de vin, son premier « vin » bu, la folie du sucre…écoutez ici.