Et si on buvait comme en 1985 ?
Alors que les tignasses peroxydées de Duran Duran et de Wham ! (RIP George Michael) prennent d’assaut les ondes de MTV et que Michael Jackson et Prince s’époumonent à qui mieux-mieux à la radio FM, les amateurs de vin poussent la porte de leur régie des alcools ou magasin de vins pour aller s’acheter en masse les bouteilles les plus populaires de l’heure.
Elles ont pour nom Baby Duck, Mateus, l’Oiseau bleu, le Cellier des Dauphins, ou encore le Black Tower et le Piat d’Or. 38 ans plus tard, on n’entend plus beaucoup, et pour des raisons diverses, les ténors de la musique pop de 1985. Mais certains de ces vins sont, eux, encore là ! Revisitons-en quelques-uns au nom de…la science ?
Ces vins ont en quelque sorte participé à la « mission de familiarisation » des Canadiens au vin car, il y a 30 ou 40 ans, force était de constater que le choix était plutôt maigre en matière de vins dans ce grand pays. À l’époque, l’intérêt si maigre soit-il pour le jus de raisin fermenté ou fortifié était surtout porté vers des vins plutôt sucrés, surtout blancs. Et il s’en est vendu des millions de bouteilles, de ces flacons disons, plutôt caloriques.
Baby Duck, Canada
Commençons par probablement le plus célèbre des vins canadiens, j’ai nommé le Baby Duck. « Conçu » en 1971 à partir d’un mélange d’eau, de sucre et de vins sucrés rouges et blancs appelé « Chanté », le Baby Duck était somme toute le point de chute de raisins qui, disons-le, n’étaient pas de qualité suffisante pour produire du vin de table équilibré et « buvable ». En 1973, ce « vin » effervescent se vendait à 8 millions d’exemplaires. Aujourd’hui, il est toujours bien présent sur les tablettes et continue de se vendre.
Sa robe est d’une couleur « grenadine » avec des bulles très effervescentes. Au nez, il sent « vraiment » le raisin sucré, la framboise et la fraise . La carbonisation, aux antipodes de la méthode champenoise (c’est un euphémisme!) est somme toute rafraîchissante, mais peut difficilement rivaliser avec le sucre massif. À éviter si vous êtes au régime, puisque ce vin comporte…roulements de tambours…56 grammes de sucres par litre ! (7$)
Mateus rosé, Portugal
Puisqu’on est dans la couleur rosée, saluons un des vins toujours très populaires et qui a fait les beaux jours des jeunes étudiants des dernières décennies qui cherchaient un vin suffisamment sucré comme un « cooler » pour passer une belle soirée et avoir quand même un « buzz ». Le Mateus, du géant portugais Sogrape, produit ce vin depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Reconnaissable grâce à sa bouteille en forme de gourde, le Mateus est vinifié avec une dizaine de raisins différents et est légèrement pétillant. La petite histoire raconte que Saddam Hussein en avait stocké énormément dans son cellier. Aujourdhui, Sogrape en produit environ deux millions de caisses par an. Et il semble connaître un certain regain de popularité récemment. (merci, les hipsters?)
La robe du Mateus est de couleur saumon pâle et son bouquet est truffé d’arômes de fraises et de framboises. En bouche, c’est un vin demi-sec rafraîchissant qui goûte bon la cerise et, qui disons, se laisse boire. Un vin de soif ? Probablement, même si sa teneur en sucre est d’environ 16 grammes par litre. Pour l’apéro, ou pour accompagner un souper asiatique relevé. Parmi les produits dégustés dans cette expérience, c’est celui que l’on boit avec le plus de plaisir. Toujours vendu à la SAQ (9,75$)
Blue Nunn, Allemagne
Petit cousin du célèbre Oiseau Bleu, le Blue Nunn est un vin allemand créé en 1923 ! À base de raisins qui entraient dans la confection de vins de style Liebfraumilch (lait de femme bien-aimée !), le Blue Nunn était probablement le vin le plus vendu internationalement entre les années 50 et 80. Ce serait un mélange de müller-Thurgau (ou rivaner) et de sylvaner. Ce Blue Nunn a une robe de pâle couleur de paille qui dégage des arômes minéraux et de pêches, de poires et a un nez plutôt « sucré ». C’est un vin demi-sec dont la teneur en sucre est de 31 grammes par litre.
Black Tower, Riesling, Allemagne
Décidément, l’Allemagne avait la cote au Canada avec cet autre vin sucré. Qui ne se rappelle pas de cette bouteille noire à la texture disons « nervurée » ? Depuis 2010, le flacon a un peu changé, laissant transparaître à moitié la couleur du vin contenu. Parmi ce type de vin, la teneur en sucre est plus restreinte avec « seulement » 10 grammes par litre. De couleur jaune citron pâle, le riesling de Black Tower offre des arômes de pomme, d’agrumes et de fleurs blanches. C’est plutôt sec et pas compliqué. Si vous optez pour le rivaner (l’autre nom du cépage müller-thurgau), sachez que le sucre y est beaucoup plus présent. (27g/L) Toujours vendu à la SAQ (9,70$)
Un autre classique qui a contribué à faire connaître le vin, qui plus est, rouge, est assurément le Piat d’Or. Rappelez-vous de cette vidéo promotionnelle ! Produit aussi en blanc avec le cépage chardonnay, la marque Piat d’Or a été lancée simultanément au Japon , au Canada et au Royaume-Uni en 1979. La société Piat Père et fils fut fondée en 1849 par Charles Piat en Bourgogne. Il semble que le Piat d’Or était surtout concocté à base de raisins récoltés dans le Languedoc-Roussillon. L’étiquette a changé au fil des décennies et arbore fièrement aujourd’hui les qualificatifs de « souple » et « élégant ». Bon alors, la robe est rouge rubis et les arômes de fruits noirs mûrs sont assez prononcés. Bien que sec, ce vin me donne l’impression d’une sucrosité abondante. Pourtant, la teneur n’est que de 5 grammes par litre.
Conclusion
Alors verdict ? Disons que le choix offert 38 ans plus tard laisse moins de place à ces vins, mais, croyez-le ou non, ils sont toujours populaires auprès d’une certaine clientèle. Je les ai fait goûter à l’aveugle en fin de semaine à des amis et proches (ils le sont restés, malgré tout, après que je leur ai dévoilé les étiquettes), et leur réaction primaire fut, « Euh pas mal ». Normal, ils sont « polis », je les ai habitués, en général, à « bien » boire avec certaines de mes bonnes bouteilles. Mais, après réexamen et découverte des noms des vins, la plupart ont « réévalué » leur appréciation de ces produits.
J’aurais pu aussi essayer les Harfang des neiges, le vin Notre Maison, le Santa Reina, le Paul Masson et autres, mais il y a des limites à donner son corps à la science aussi. Ce que cela nous apprend, c’est que le consommateur de masse recherche quand même, au fil des époques, un certain réconfort dans le sucre du vin. Le meilleur exemple ? Au Québec et au Canada, les vins les plus populaires avaient pour nom il n’y a pas si longtemps « Ménage à Trois, « Wallaroo Trail » et « Apothic Red », tous des vins rouges classés comme « demi-sec » et dont la teneur en sucre peut atteindre dans certains cas, 17g/l. Alors, toujours avons-nous encore la dent sucrée au Canada ?
Et Wham! et Duran Duran alors ?
Pour ceux qui veulent non pas boire comme en 1985 mais plutôt se replonger au son des années 80, je vous invite à écouter l’une des multiples radios sur le web pour prendre un petit « coup de vieux », entre les synthés et les coups de batteries électroniques.
Là-dessus, à la bonne vôtre…
Quel voyage dans nos jeunes années! Il faut rajouter le Cuvée des Patriotes pour les québécois et hors vin ´Le grand sec d’Orléans’ cidre peut-être un peu plus sec que les vins cités ci-haut. J’ai une curiosité cependant, plus d’un sous-sol recelait des bouteilles de vin transformées en chandelier, notamment le Mateus, mais aussi la bouteille de chianti avec panier en paille tressée. Buvait-on ce chianti? Je n’en ai pas de souvenir!
Et que boirons-nous d’ici 20 ans ? Le monde du vin évolue sans cesse, et nos goûts aussi…pour le meilleur et pour le pire 😉
Au plaisir Manon
F.
Et que dire du Chateau Lagarde des années 70 lorsque l’on allait manger du poulet au St-Hub de Ste-Adèle. C’était le plus. On se faisait remarquer.
Autres temps, autres moeurs 😉
F.