Ils font du pinot noir au Québec !
Se lancer corps et âmes dans l’établissement d’un vignoble n’est pas à la portée de tous. Financièrement et, disons-le, aussi mentalement. Car il faut être un peu fou pour, en plus, vouloir cultiver du pinot noir au Québec. C’est le défi en fait pas tout à fait dément qu’un père ingénieur, retraité de Gaz Métro et son fils,bardé d’un MBA, ont relevé quelque part sur le bord de la rivière Yamaska, en Montérégie.
Par Frédéric Arnould (lefred@toutsurlevin.ca)
Au départ de Montréal, il faut zigzaguer une petite heure dans les rangs avant d’arriver au Domaine du Nival à St-Louis. Une entrée qui ne paie pas de mine (pour l’instant) mais qui cache six hectares de terres plantés avec plusieurs cépages. Dans un sol qui va du sablonneux à l’argileux et du terrain plat aux coteaux, Denis Beauchemin, aujourd’hui retraité, a donc lancé avec son fils Matthieu, cette idée un peu folle de démarrer de zéro un vignoble qui ne serait pas peuplé de ces cépages hybrides rustiques, mis au point pour le rude climat hivernal d’ici, et disons-le, qui sont difficilement commercialisables pour cause de méconnaissance du public.
Seul, le vigoureux vidal a trouvé grâce aux yeux du tandem familial. Un cépage très planté au Québec et souvent vinifié en vin moelleux de vin de glace de vendanges tardives. Sauf qu’ici, ils le vinifient en sec.
Les grappes costaudes de pinot noir du domaine
Du pinot noir bio !
Nos joyeux drilles qui se sont lancés aussi dans la biodynamie tant qu’à y être, ont alors planté du pinot noir. Les vignobles québécois sont peu nombreux à se hasarder avec ce cépage plutôt fragile et capricieux. Une poignée de domaines comme chez Carone à Lanoraie s’y sont aventurés. À St-Louis, on a décidé de planter aussi du gamaret (un cépage suisse, croisement entre le gamay (du Beaujolais) et le reichensteiner). Pour l’instant, le domaine du Nival a préféré assembler les deux cépages car les Beauchemin estiment que le pinot n’est pas encore « prêt » ou suffisamment structuré pour l’instant.
Matthieu Beauchemin
Il en résulte le bien nommé « Les entêtés », un vin fruité, un peu épicé et ma foi, très agréable à boire. Au domaine, on a fait le pari de l’intervention la plus minimaliste possible. Les vins sont fermentés sur les levures indigènes. « La façon la plus sûre, disent les Beauchemin, de produire un vin qui reflète leur terroir ». Pas question entre autres de nettoyer à grandes eaux les raisins.
Il reste qu’être vigneron, c’est d’abord et avant tout être un agriculteur à la merci des caprices du climat. Cet été, les Beauchemin ont constaté que la vigne souffrait, victime des cicadelles, un insecte suceur. Les nombreuses feuilles jaunies et recroquevillées en sont la douloureuse preuve visible dans le vignoble. Les rendements risquent d’être inférieurs pour ce millésime.
Denis Beauchemin
Les rois du financement
Démarrer un vignoble demande évidemment d’avoir les reins forts. Je parle ici, de la finance bien sûr. Un projet de retraite avec des garanties bancaires, c’est bien mais de l’argent venu d’ailleurs c’est mieux. La vigne n’était même pas encore plantée, que papa et fiston avaient déjà vendu des bouteilles à des clients impatients de passer commande. Alors qu,ils étaient en Ontario pour prendre livraison de leurs vignes, ils planchaient déjà sur des caisses spéciales qu’ils garniraient plus tard du fruit de leur dur labeur. Bref, une campagne de financement participatif bien avant l’heure.
Un peu d’Espagne en sol québécois
Résolument tourné vers l’avenir et une rentabilité dans un horizon de 10 ans, le duo a planté de la vigne d’origine espagnole, de l’albarino. Croyez-le ou non, les raisins goûtés cette semaine semblent très prometteurs. Cela ne m’étonnerait pas que ceux qui ont parrainé le domaine embarquent bien vite sur les précommandes.
Pour l’instant, leur brillant vidal se décline en deux versions. « Bouche Bée », un vin juteux et tranchant à l’acidité revigorante et « Matière à discussion », mûri six mois en fûts de chêne neutres, un vin plus arrondi, plus grand public, diront certains.
Ne cherchez pas les quilles du Nival à la SAQ, la production actuelle n’est que de 5 000 bouteilles, avec un but de 15 000 flacons à moyen terme, un volume insuffisant pour rêver de pousser les portes du monopole. Mais l’objectif n’est pas là pour les Beauchemin. Pour l’instant, ils vendent une bonne partie de leur production au domaine, le reste via l’agence Boires et les ventes aux restaurants (Toqué et autres). Une « folie familiale » qui semble avoir porté fruit. Après le pinot noir, ils songent à élargir leur gamme de cépages. Qui sait, peut-être feront-ils du cabernet franc québécois…