Jacques Benoit, le drogué du vin

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Jeune retraité de la chronique du vin, Jacques Benoit coule des jours heureux à boire ce qu’il veut, sans aucune pression de l’écriture. Retour sur sa carrière avec un regard lucide sur le milieu du vin d’aujourd’hui.

Par Frédéric Arnould (lefred@toutsurlevin.ca)

, Jacques Benoit, le drogué du vinAmateur fou de Bourgogne et de Bordeaux, Jacques Benoit a marqué de sa plume indélébile le monde du vin au Québec pendant 33 ans. Journaliste, romancier et scénariste, il résume en quelques 202 pages une soixantaine de voyages vinicoles, de rencontres de vignerons et des anecdotes sur le monde du vin. Des réflexions sur les vins, autant sur ceux de l’Afrique du Sud que ceux du Québec en passant par l’Autriche. Pour ceux qui se demandent ce qu’il fait pendant sa retraite, il a écrit un roman qu’il tente de faire éditer ainsi qu’un autre projet secret de bouquin. Au fait, écrire sur le vin, est ce que cela lui manque ?

« Au début, cela me manquait, mais cet ouvrage c’est un bilan de 33 ans de rencontres, de voyages de vin. Maintenant, cela ne me manque plus du tout, j’ai tourné la page. Je n’ai plus la pression d’écrire. Tout le temps que j’ai écrit sur le vin, globalement, je dégustais tous les jours au moins quatre vins et je me suis aperçu que c’était une contrainte. C’était une pression, quand on est dedans, on ne se rend pas compte…C’est très exigeant toutes ces dégustations. Toute cette contrainte est partie et je ne regrette pas du tout de ne plus écrire sur le vin. »

Sur les dégustations « marathon » de vins

Les gens s’imaginent qu’on se soûle la gueule, pas du tout, on sort de là sur les genoux, on est fatigué parce que cela demande beaucoup d’attention, déguster.

Moi, je compare toujours ça à ce qu’est une visite de musée. Au bout d’une heure et demi de visite, on est vraiment fatigué parce qu’on est très concentré. Une dégustation de 20-30-40 vins, c’est la même chose, c’est un gros effort. »

Un sport dur sur le système ?

« Je ne prends aucun médicament, malgré mon âge, j’ai 76 ans. C’est plus exigeant sur le plan mental que sur le plan physique, en tout cas dans mon cas. Je n’ai pas souffert de toutes ces bonnes dégustations et de ces bons repas.

, Jacques Benoit, le drogué du vinLe vin est une drogue douce, mais est-ce qu’on en réchappe un jour ?

« Le vin, c’est comme la musique. Quand on aime la musique on ne s’en lasse pas, on aime la musique toute la vie… Le vin, c’est la même chose, je ne vois pas comment on peut se lasser du vin, c’est une boisson tellement extraordinaire. Au début des années 80, quand j’ai commencé à écrire sur le vin, c’était presque la Préhistoire dans le sens que le gens ne connaissaient pas ça, les gens en buvaient peu. Le vin ce n’était pas quelque chose que l’on voyait beaucoup à table. Avec  Michel Phaneuf et Claude Langlois, j’ai été un témoin de toute cette évolution de l’attitude des Québécois à l’égard du vin. »

Et ceux qui parlent du vin en 2018 ?

« J’ai lu tellement sur le vin, je vais être franc, à l’occasion je vais lire une chronique mais je ne suis pas très au courant. Mais je sais par contre qu’il y a énormément de gens qui écrivent sur le vin. Ce qui n’existait pas autrefois, mais ce qui me frappe c’est l’ampleur de la couverture actuelle. J’ai l’impression qu’il y en a beaucoup, il pourrait y en avoir moins mais c’est le consommateur qui décide, si il y en a qui veulent lire tout ça, ils le feront, mais ce n’est pas mon cas. »

Sur les vins « guidounes » ?

« Les chroniqueurs emploient ce terme pour décrire les vins très flatteurs. Moi, j’appelle ça des vins travaillés, ce sont souvent des vins rouges qui sont très boisés qui vous flattent dans le sens du poil…Cela me fait penser à ce que les Bordelais disaient du millésime 82, qui a donné des vins très tendres, très faciles…

Les Bordelais disaient que ces vins faisaient un peu le trottoir…

Je pense qu’ils se trompaient parce c’étaient des vins très séduisants, alors que des vins guidounes, ce sont des vins qui font très « commercial ».

Passionné par la Bourgogne ?

« Le Bourgogne, c’est des vins de monocépages qui peuvent avoir une complexité et un charme absolument incroyable, ce sont des vins très digestes. Ce n’est pas lourdaud, je pense à certains vins espagnols en ce moment qui sont d’une concentration énorme. Si vous en prenez une gorgée, vous trouvez ça bon, la deuxième, c’est beaucoup moins bon, ça devient presque imbuvable, alors que le Bourgogne, autant le rouge que le blanc, c’est un vin qui se boit de façon absolument magnifique. »

, Jacques Benoit, le drogué du vinLe vin, produit pour les riches ?

« Quand j’en ai acheté il y a bien longtemps, le Cos D’Estournel 1976 (deuxième grand cru classé de Bordeaux)  était de toute beauté, et cela coûtait un peu moins de 17 dollars. Château Palmer 1977, un petit millésime, mais le vin c’était de la soie, c’était merveilleux, cela coûtait 22 dollars, aujourd’hui, Palmer ça coûte 500 dollars…Avec l’intérêt des Japonais, des Chinois, des Russes pour le vin, la demande est tellement forte que les producteurs les plus réputés augmentent leur prix, il ny’a plus de freins. »

Et la SAQ alors ?

« J’ai vu évoluer la SAQ dans le bon sens. Au début des années 70, il n’y avait pas de libre service, c’était des succursales comme des confessionnaux. Le choix était très limité.

La SAQ a changé en même temps que le marché par la force des choses…

Les agences d’importation privée se plaignent souvent de la SAQ et avec raison, parce que c’est une grosse machine, c’est très bureaucratique, très tatillon mais elle a les défauts de ses qualités. Ça pourrait être une machine stupide, mais elle n’est pas stupide du tout.

Questions en rafale
Le premier vin qui a tout changé ?

« Le premier Bordeaux qui m’a vraiment beaucoup ému, c’était le St-Julien de Château Beychevelle 1970. C’était très nuancé, très soyeux. C’était du velours et long en bouche ». Je m’en souviens encore, j’étais ébloui. »

3500 $ de budget : Un Pétrus ou 100 bouteilles à 35 $ ?

« Je n’achèterais pas un Pétrus. Je vais peut-être acheter des vins à 100 ou 200 dollars. Quand on est mordu, c’est le genre de chose qu’on fait. Mais jamais un Pétrus, c’est de la folie, ça devient du délire. C »est une des choses les plus déplorables, ces prix de fous. »

Le  vin que vous boiriez tous les jours ?

« Je boirais du Bourgogne. Ma femme me taquine, elle dit, tout ce que tu bois c’est du Bourgogne. Mais je bois aussi beaucoup de Beaujolais, surtout dans le millésime 2015, on en a eu vraiment de beaux. »

Le dernier vin avant la chaise électrique ?

« Peut-être un grand Bourgogne, mais je suis encore un fan de portos.. Il y a longtemps j’avais acheté 18 bouteilles d’un tout petit millésime de la maison Fonseca Guimaraens de 1976. La dernière bouteille que j’ai bue, c’était il y a 8 ans. C’était grandiose. »

Un plaisir coupable liquide inavouable ?

« Peut-être le porto ! C’est devenu à la mode pour les gens de balayer ça du revers de la main. »

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Un vin recommandé par Jacques Benoit, Château Philippe le Hardy, Mercurey premier cru, Les Puillets 2015 (29,60$)

Un conseil pour ceux qui aiment boire du vin mais sont intimidés par le très grand choix ?

« La chose à faire, c’est de déguster beaucoup de choses différentes. Récemment, j’ai vu un bonhomme qui avait acheté 6 ou 7 bouteilles du même vin dans une SAQ. À moins qu’il l’aime beaucoup ou que le vin soit devenu rare, je me dis pourquoi pas essayer beaucoup de différentes choses… Et puis je me dis chaque fois que vous buvez du vin, faites une petite note sur le vin, ne serait-ce que de dire j’ai bu tel vin, je l’aime ou je l’aime pas…essayez au fond de déguster, c’est comme ça qu’on se forme le goût. On apprend à comprendre son propre goût. »

 

 

 

 

Le livre « Le vin est une drogue » de Jacques Benoit sort ce lundi 26 février.

Jacques Benoit, Le vin est une drogue ! Mémoires d’un dégustateur passionné, Éditions La Presse.

Et pour en apprendre davantage sur l’évolution de son palais, sur combien il a payé pour des grands vins de Bordeaux il y a 30 ans, ce qu’il pense des prix de certains vins et quelques anecdotes, voici l’entrevue à écouter en podcast :