Jean-Claude Mas, ce géant du Languedoc
S’il y a un vigneron qui représente bien le nouveau Languedoc, c’est assurément Jean-Claude Mas. Lui qui a pris les rênes de l’entreprise de son père Paul Mas pour en faire un empire vinicole a écrit les lettres de noblesse d’une région qui, il y a plus 30 ans, était surtout celle des vins de masse sans caractère. Aujourd’hui à la tête de 700 hectares et de 12 domaines, son seul objectif est de faire du vin de grande qualité pour le plus grand nombre.
C’est d’abord dans le marketing que Jean-Claude Mas a fait ses premières armes dans les années 80. C’est d’ailleurs par le biais de ses expériences à l’étranger qu’il découvre le succès des vins du Nouveau Monde. Ayant travaillé sous la houlette du Bordelais Bernard Magrez pour l’exportation des vins de ce dernier, il parfait ensuite ses connaissances du marché international vinicole. C’est en 1996 qu’il touche alors à la production en tant que vigneron au sein d’un domaine, près de Pézenas, une magnifique petite ville de l’Hérault dans le Languedoc.
Depuis, il n’a eu de cesse de mettre la main au raisin pour améliorer ce qu’il appelle, les cinq savoir-faire : la viticulture, la vinification, l’élevage et l’assemblage, l’embouteillage et après, le marketing. « Si vous voulez réussir, il faut maîtriser les cinq. Maîtriser la viticulture est quelque chose d’essentiel surtout dans les années difficiles. Parce que ça pardonne pas. »
Aujourd’hui, l’empire Mas :
– est investi dans tous les crus du Languedoc
– cultive 45 cépages différents
– remplit annuellement 22 millions de bouteilles.
Mas n’a pas attendu que le bio soit à la mode puisque le retrait des insecticides, pesticides et autres poisons du vignoble est à l’ordre du jour depuis belle lurette. Même les sulfites sont devenus persona non grata dans certaines cuvées. La Cuvée secrète, un merlot cabernet de 2017, malheureusement pas disponible au Québec, est d’ailleurs toute une réussite. « Je recherche le côté le plus expressif du fruit. Surtout pas question de travailler avec des artifices pour s’adapter au marché de Tartempion » assure l’homme de 54 ans. D’ici 2025, l’ensemble des vins Mas seront d’ailleurs bio, ce qui n’est pas une mince affaire, vu le volume et l’étendue de sa production.
De plus en plus de grands vins
Lorsqu’Aimé Guibert a lancé son expérience du Mas Daumas Gassac dans les années 80, le Languedoc a pris un virage irréversible de la qualité, après de nombreuses années de vins en vrac que certains buvaient à grandes lampées sans grand plaisir directement du « cubitainer » (vin en boîte). Depuis, les vignobles Jeanjean, Gérard Bertrand et Jean-Claude Mas sont les plus grands producteurs languedociens de cette vision : qualité, qualité, qualité…
« Mon objectif, c’est de rentrer dans la gamme des grands vins, des vins qui font rêver. Vous oubliez une bouteille pendant 15 ans et là vous l’ouvrez et là vous vous dites Ouf, c’est quoi ça ? Et au bout de 15-18 ans, certains consommateurs qui ont cette expérience de la bouteille perdue se disent qu’il faudrait voir ce qui se fait d’autre ».
C’est notamment le but du projet Astelia (un domaine qui fait dans le haut de gamme dans le chardonnay et le cabernet sauvignon et qui trouve son origine dans le nom de ses filles (Astrid, Élisa, Apolline et Estelle). »
Le silence de son père
Depuis peu, Jean-Claude Mas signe ses vins, ce qu’il ne faisait pas puisqu’il y avait seulement le nom de son père Paul Mas sur les étiquettes. C’est malheureusement le printemps dernier que Paul Mas s’est éteint à l’âge de 92 ans. Lui qui a assisté à l’ascension de son fils dans le milieu vinicole est resté plutôt tacite sur la reconnaissance de la fierté qu’il éprouvait à l’égard de Jean-Claude.
« Il a assisté avec fierté sans jamais le dire, on est dans le monde paysan donc on ne dit rien, ce qui est toujours un peu compliqué mais c’est le monde paysan… »
« Il est né, poursuit Jean-Claude Mas, il s’est construit et il a réussi dans une politique de gros rendements et moi j’ai assuré le basculement vers quelque chose de différent grâce à un état des lieux qui certes n’était pas fabuleux pour faire des vins et les exporter mais qui avait le mérite d’avoir un patrimoine immobilier qui devait être rénové, des vignes qui devaient être rénovées, mais qui avait le mérite d’exister. »
Reconnaissance de fierté, oui, mais silencieuse. « J’ai réalisé à son enterrement, avec les petits mots qu’on dit pour dire au revoir, à quel point il m’avait laissé ce goût pour la nature. »
Ne jamais négliger l’entrée de gamme
Celui qui a déjà pris un avion d’Air Canada a probablement goûté aux vins d’entrée de gamme Paul Mas, qui sont de bons petits vins de tous les jours. Il y a quelques années, soucieux de dépoussiérer le Languedoc vinicole, il a notamment alors créé la marque Arrogant Frog. « Vous savez pourquoi on est arrogant ? Parce qu’on est les meilleurs, dit-il sourire en coin. On a gagné la Coupe du Monde. » Plus sérieusement, sa recette demeure la même : des arômes nobles (fruits, fleur, épices douces, moka, cèdre mais pas de goudron et rien d’animal), une structure harmonieuse, riche, opulente avec un équilibre élégant sur toute la perception organoleptique.
Derniers coups de cœur ? Ça fluctue, mais le dernier vin que j’ai pu goûter, c’est le Mas La Plana de Torres. En blanc, le chardonnay de Cloudy Bay m’a bluffé.
Le vin pour le dernier repas si vous étiez condamné à mort ?
Le Clos des mûres !
Vos invités autour de la parfaite table imaginaire ? Le peintre Picasso, le philosophe Sartre, Jean-Paul II, Anne-Sophie Pic (chef cuisinier), Ayrton Senna, Giorgio Grai (son mentor italien qui lui apprit l’art de l’assemblage et de la création de vin avec un style.
Quoi leur servir ? Château Pape-Clément 1990, Romanée-Conti 1998, mon Château Paul Mas 2000 qui tient bien la route. En pétillant, un Bollinger 1995.
La gastronomie pour se rappeler son enfance
C’est à son fief de Montagnac que Jean-Claude Mas a ouvert aussi son restaurant Côté Mas. Lors de notre passage, il y avait pas moins de quatre Québécois en salle et aux fourneaux. Un joli menu avec ses produits locaux est proposé en harmonie avec les vins des multiples domaines du géant languedocien. C’est d’ailleurs l’occasion d’essayer quelques vieux millésimes de certains de ses vins comme le Clos des Mûres, le Château Paul Mas ou encore les Vignes de Nicole.
On déguste ?
Domaine Paul Mas, Vignes de Nicole, 2017, Languedoc, France
À moins de 15$, cet assemblage de chardonnay, de sauvignon Blanc, de viognier et de picpoul, est un petit régal. Fruits de la passion, poires et brioche, voilà le programme qui vous attend dans le verre. Un bon blanc fruité, frais avec une joli gras en bouche, gracieuseté d’un court séjour de 3 mois en fûts de chêne. (14,55$)
Château Paul Mas, Clos des Mûres, 2016, Languedoc, France
Très certainement, un vin qui mérite qu’on s’y attarde pour ce prix. Pour en avoir dégusté dans un millésime de plus de 10 ans d’âge, il est fascinant de voir l’évolution de ce vin. Syrah et grenache s’allient avec beaucoup d’élégance. Beaucoup de fruits noirs et une finale déjà impressionnante pour cette jeunesse. Achetez-en quelques-unes et faites leur passer le test de la bouteille oubliée pour quelques années. (18,75$)
Jean-Claude Mas, Les Faïsses, 2016, Languedoc, France
Si vous cherchez un vin puissant au fruité concentré de mûres avec des notes de violette, de poivre et de tabac, vous serez charmé par ces Faïsses (terrasses en Occitan) qui offrent des tanins joufflus. Une belle charpente qui laisse présager une évolution prometteuse en caves d’ici les 8 prochaines années. Excellent prix ! (19,80$)
Pour écouter l’entrevue avec Jean-Claude Mas, c’est ici…