La dictature du bouchon

bouchon, La dictature du bouchon

Préférez-vous un bouteille de vin avec un bouchon en liège ou une capsule à vis ? Ou plutôt devrais-je dire avez-vous un préjugé défavorable contre la capsule plutôt qu’envers le bouchon ? Et si on testait votre seuil de résistance ?

Par Frédéric Arnould (@lefred@toutsurlevin.ca)

Les producteurs de bouchons de liège ont fait énormément de progrès depuis les 20 dernières années. Après une croissance importante du nombre de bouteilles au goût bouchonné, les grandes maisons ont mis le cap sur la qualité avant tout.

Le fait que près de un million de bouteilles de vin étaient « perdues » chaque jour à cause du TCA (ce maudit goût de bouchon) faisait perdre aux entreprises de chêne liège trop de terrain face aux avancées de la capsule à vis ou d’autres bouchons nouvelle vague, comme le Diam ou les bouchons dits verts de Amorim. Aujourd’hui, 17 milliards de bouteilles remplies à travers le monde sont coiffées à 60% d’un bouchon de liège. Ce fameux bouchon est bien assis sur les flacons de la Vieille Europe, puisqu’il est encore le choix de plus de 80 % des bouteilles de vin françaises.

Écorce du chêne-liège

L’écorce du chêne-liège

Goût de bouchon

Au fait, d’où vient ce goût de bouchon qui sent la cave et le carton mouillé ? D’une molécule appelée trichloroanisole (TCA pour les intimes) qui provient souvent d’une mauvaise salubrité des plaques de liège du chêne-liège, mal entreposées par les producteurs de cette matière première. Une fois le liège contaminé, il n’y a plus grand-chose à faire. Dès le premier jour, le vin bouchonné le restera jusqu’à la fin de son existence. Si vous goûtez malgré tout le vin, le vin n’aura pas cette fraîcheur du fruit et aura un goût en bouche désagréable. 

Le géant portugais Amorim, numéro un du bouchon, a depuis redressé le tir en offrant des bouchons de liège qui sont vérifiés à l’unité pour tenter de faire baisser davantage les 3 à 5 % de pertes de bouteilles de vin à cause du TCA. Certaines usines à bouchons contrôlent des milliers de bouchon par jour, même s’il leur en coûte un retour sur l’investissement. Le producteur Guigal dans la vallée du Rhône procède depuis 2015 à une analyse de bouchon en utilisant un gaz captif qui collecte des molécules du bouchon pour l’évaluer. Cela dure moins de 10 secondes ! Impressionnant, mais le prix de revient peut atteindre deux euros le bouchon.

Morceaux de bouchon de liègeLa guerre des bouchons

Les producteurs de liège n’ont pas trop à s’en faire pour l’instant, car même si la capsule à vis et autres solutions de rechange au liège sont devenus le choix des producteurs vinicoles plus modernes, surtout dans le Nouveau Monde (Australie et Nouvelle-Zélande en tête) la tradition du bouchon demeure bien installée dans le Vieux Monde. Ainsi, Grégory Patriat, vigneron chez le Bourguignon Jean-Claude Boisset, avait pris l’initiative de coiffer ses bourgognes blancs d’entrée et de milieu de gamme avec des capsules à vis. Mais les habitudes sont tenaces surtout dans ce coin de pays, résultat, Patriat a dû faire marche arrière car le vin n’avait pas les faveur du consommateur, coincé dans sa tradition. Même si la capsule à vis permettait de garder toute la fraîcheur du vin.

château la louvière Des capsules sur des Bordeaux plus âgés ?

Jacques Lurton, des vignobles bordelais André Lurton, a fait le test avec le même vin blanc du même millésime, soit le Château La Louvière, 2010, de l’appellation Pessac-Léognan. L’un sous capsule à vis, l’autre avec un bouchon de liège. Croyez-le ou non, ce sont deux vins tout à fait différents, chacun avec leur évolution bien différente. Alors que celui sous bouchon montrait des signes d’une jolie évolution des arômes, celui sous capsule gardait sa fraîcheur avec des notes de pierre à fusil, tout en gardant sa suavité. Les notes boisées étant, à mon avis plus présentes que sous celui avec bouchon. Probablement normal puisque comme il y a moins d’oxygénation du vin sous capsule, le boisé met plus de temps à s’intégrer. Le marché est-il prêt pour Bordeaux pour un changement de cap sur la capsule ? Lurton pense qu’il faut que le marché évolue encore un petit peu. « Il faut essayer encore et encore. Mais si je vends une caisse de 12 bouteilles sous capsules, je sais que c’est le même vin que l’on ouvre. Alors que je peux pas forcément garantir que ce sera le cas avec 12 bouteilles coiffées d’un bouchon. » Signe que la résistance demeure en France, le nouveau millésime du Château La Louvière en blanc est sous capsule certes, mais de loin, sur le rayon on dirait qu’il s’agit d’un bouchon, pour ne pas « effrayer » le client.

Capsule à vis pour le vinLa capsule, idéale pour le rosé, mais…

Arnaud de Barry, propriétaire du Château de Saint-Martin Cru classé de Provence qui est aussi en faveur de « fermer » une bonne partie de ses rosés sous capsule Stelvin a lui aussi eu un frein de taille. « Le marché en France est très codifié. La capsule en France sur les rouges, c’est injouable. Sur les blancs et les rosés ça commence à venir. De vous à moi, c’est très bien pour les blancs et les rosés qu’on boit dans les deux ans. Mais dès qu’on monte en peu en gamme, les gens ne veulent rien entendre. »

Deux mondes, deux bouchons

Christian Paly, vigneron dans les appellations Lirac, Côtes du Rhône et Tavel, pour sa part estime qu’il est fervent partisan de tout basculer ses vins de pays, ses côtes du Rhône, et rosés sur la capsule à vis. « C’est une méthode moderne de conditionner les vins et aussi une réponse à une attente de consommation car ces vins sont beaucoup bus à l’apéritif et donc il y a une facilité d’ouverture dans la capsule à vis et une facilité de refermer pour remettre au réfrigérateur ensuite. » Mais pour les vins de l’appellation Tavel, c’est plus compliqué parce que le positionnement est différent, ajoute-t-il.. « On est sur des crus qui sont plus chers et qui sont aussi dégustés dans d’autres conditions de repas avec un cérémonial d’ouverture de bouchon qui a encore une certaine signification. » 

Capsules à vis stelvinAinsi, la Suède par exemple a exigé d’un producteur de Tavel que son vin soit scellé par une capsule. « Malheureusement, la bouteille de Tavel qui comporte une armoirie sculptée dans le verre n’existe pas avec la capsule. Le producteur a donc produit une bouteille sans armoirie pour ce pays qui finalement a préféré revenir à la bouteille armoriée pour le côté « cru prestigieux ». 

Bref, le marché reste cependant accro à la tradition et qui ne jure que par le liège, un choix très « Vieille Europe ». « La viticulture française doit marcher sur ses deux jambes, explique Paly. Celle de la tradition parce que c’est notre ADN, c’est notre histoire, notre culture mais aussi marcher sur la jambe de la modernité et je trouve qu’il y a une vraie évolution en la matière en France au niveau des packagings qui sont de plus en plus modernes. »

Service du vin à tableLe bouchon, une affaire de snobisme ?

Pour terminer, je m’en voudrais de ne point vous parler brièvement de cette étude révélatrice sur le « snobisme du bouchon ». Charles Spence, un psychologue de l’Université de Oxford a effectué une étude en proposant à la moitié de ses « goûteurs » de boire un vin d’une bouteille avec un bouchon, l’autre avec une capsule à vis. Ceux qui ont eu la bouteille avec un bouchon ont donné une meilleure note (+15% ) que ceux qui ont bu la bouteille à capsule. Étonnant, quand ils ont appris ensuite que le vin était identique ! Comme quoi, le côté « romantique » ou prestigieux du bouchon fait encore son travail dans nos esprits. Certains diront que l’étude a été financée par l’industrie du bouchon de liège et ils auront raison sauf qu’il est facile de faire le test parmi certains convives qui préféreront de toute façon le bon vieux morceau de liège…  Bref, la dictature du bouchon est encore là pour rester…pour l’instant…

Que faire si le vin est bouchonné ?

Si vous l’avez acheté à la SAQ, n’hésitez pas à le retourner à votre succursale qui vous remplacera le flacon fautif. Si le vin est servi dans un restaurant, en principe le ou la sommelier(e) aurait dû identifier le défaut. En cas d’absence de sommelier, argumentez et faites-le goûter au serveur. Dans les deux cas, la bouteille doit être remplacée.

 

2 comments

  • J’aime beaucoup votre article sur les bouchons. Bonne recherche comme d’habitude, félicitations!
    En plus des buveurs d’étiquette on a maintenant des buveurs de contenant …
    Vive la dégustation à l’aveugle!