Le facteur qui aimait le vin
Les histoires les plus simples sont souvent les meilleures. De temps à autres, on croise du monde. Et on pense qu’il y a là une simple et belle histoire à raconter. Un exemple ? Il est facteur. Il a 28 ans. Il aime les grands crus du vin. Voici son histoire…
Par Frédéric Arnould (lefred@toutsurlevin.ca)
Pour découvrir sa tanière, il suffit de descendre une volée d’escaliers, en direction de son sous-sol dans sa petite maison sur l’île de Montréal. Passé le long divan en L, véritable antre du « gamer » en lui, on pousse ensuite la porte du repaire où tout se passe. Bienvenue dans le studio radio de Simon-Pascal Decoste. Facteur le jour, passionné de vin l’après-midi, animateur de podcasts le soir…
C’est par le biais du père de sa blonde qu’il a découvert le vin il y a environ 5 ans, accompagné de bons repas. Le premier vin qu’il a apprécié ? « Un Tilenus, un vin rouge espagnol de Bierzo, composé du cépage mencia. On n’avait pas juste du fruit et du bois dans le vin, y’avait des fines herbes, une complexité et c’est là que j’ai été capable de plus facilement comprendre les arômes. Je me rappelle encore c’était très prononcé, j’ai été capable de mettre le doigt sur certains arômes et j’ai donc voulu continuer cette expérience avec d’autres vins. Aujourd’hui, si quelqu’un me demande une recommandation en rouge, sans même le connaître, je vais lui dire, essaie le Tilenus et tu viendras me revoir. »
Il a donc « voyagé » d’abord parmi les vins de l’Espagne…par le biais des tablettes de la SAQ. « De très bons rapport-qualité prix, en bas de 20 $, on trouve des vins vraiment magnifiques. Quand on veut commencer, on ne veut pas s’appauvrir non plus, on veut en apprendre sans que notre portefeuille en prenne un coup. »
Une vie avant le Tilenus ?
« Le vin, ce n’est pas quelque chose que je buvais. À part à table avec la belle famille…C’était plus les bières artisanales, les microbrasseries, les bières belges (comme sa blonde). » Depuis la bière a « pris le bord », direction le vin, parce que plus complexe et surtout, avec une histoire derrière chaque bouteille. « Le premier truc pour quiconque veut s’intéresser et approfondir leurs connaissances du vin, c’est d’aller partout, de tout essayer, de pas acheter juste du Rhône, du Bordeaux, du Bourgogne, allez dans tous les continents, les pays, les régions. Ça va finir comme un entonnoir, vous allez finir par trouver votre palais. » Attention à la « Lassitude » de certaines régions… »J’ai acheté beaucoup de Vacqueyras, de Gigondas, de Châteauneuf. Les vins du Rhône au nord, je m’y suis moins aventuré, parce que cela coûte plus cher. Maintenant, j’ai arrêté d’en boire, parce que j’étais saturé. J’ai eu un burn-out du Rhône (rires). »
Autodidacte
Il a lu tout ce qui lui passait entre les mains, de l’encyclopédie Larousse du vin au guide Hachette en passant par les revues sur le sujet. Et il s’est inscrit à des forums sur le net et s’est inscrit à des dégustations avec d’autres passionnés. Est-ce une bonne chose ? « Oui et non, parce qu’on finit par côtoyer du monde qui fait pas mal plus d’argent et qui vont finir par boire juste des grands vins. C’est correct, mais je suis facteur, je fais pas des centaines de milliers de dollars. Si une fois aux deux mois, on s’achète une bouteille à 70 dollars et que quand on est 8 à table, on a donc 8 bouteilles à 70 $ et on finit par goûter des grands vins, c’est très intéressant, mais il faut un peu retomber dans la « normalité », pour savoir qu’est-ce qu’un bon vin, un bon rapport qualité-prix. »
Il a donc appris beaucoup en fréquentant ces clubs de dégustation » Le forum a apporté une connaissance de produits prestigieux, je suis content, ce sont de belles histoires mais après on passe à autre chose aussi.
Un plaisir snob ?
Passe-t-on à côté de beaucoup de choses si on se limite à juste des vins onéreux ? « Oui, et c’est dommage, combien pouvez-vous acheter de bouteilles à 70$ ? On peut trouver de bons rapport qualité-prix à 25$ en Espagne, on en achète trois pour le même prix et on a du plaisir pour une semaine au complet. » Reste que virevolter en compagnie d’amis du vin plus fortunés que lui, il a peut-être à un moment perdu un peu les pédales. « Je dirais pas que j’ai perdu le contrôle, mais dans les forums, on peut facilement perdre les points de repère par rapport au vin « normal. Quand on mange un macaroni au fromage un mardi soir, et qu’on ouvre un grand riesling allemand, on est ailleurs complètement, ça devrait pas être ça. Si vous pouvez vous le permettre, okay, mais la classe moyenne comme moi, ça devrait pas être ça. »
Un podcast sur le vin
Fan de vin, de technologie et de radio, il découvre alors les podcasts, ces baladodiffusions qu’on écoute n’importe où. Il faut dire qu’en tant que facteur, il marche beaucoup chaque jour, environ 15 km. Beaucoup de temps pour écouter des balados. « Au Québec, y’en avait pas. Aux États-Unis, y’a « Wine for normal people » qui est très intéressant. J’ai écouté ça pendant un an et demi et chaque fois qu’il y avait des épisodes, ça me démangeait de le faire en français. Donc en marchant, tu t’imagines en faire un. La suite de l’histoire, il lance alors il y a un an et demi le Grand cru des podcasts avec quelques amis curieux du vin. « Le fait d’écouter des podcasts, t’en apprends beaucoup, le fait d’en faire aussi. Quand tu reçois quelqu’un, tu fais des recherches, donc tu en apprends beaucoup en même temps et tu veux partager ce que tu apprends. Parler de vin, ça prend des connaissance, parler devant un micro, ça prend beaucoup de confiance, de dire ce qu’on pense. Petit à petit, des auditeurs le découvrent et le suivent. Son podcast s’est retrouvé, sans qu’il ne le sache, sur podradio.fr. « J’étais flatté, content même si je trouvais ça bizarre qu’ils ne demandent pas la permission avant. Au début, je me lançais, donc ça me dérangeait pas. Après viennent les messages des auditeurs, ça c’est très intéressant, on a eu un vigneron de 17 ans dans un domaine familial, à 15 km de Bordeaux qui nous envoie un message avec leur site internet. »
« Tu sais que le vigneron t’écoute à Bordeaux, c’est irréel de penser que tu peux aller rejoindre autant de personnes que tu croiseras jamais dans ta vie. »
Mais un groupe, c’est bien connu, ce n’est pas toujours facile de se coordonner pour arriver à se voir et à produire des podcasts. Ainsi, en février, il se retrouve à la barre d’un nouveau projet, baptisé alors…roulement de tambours : Le Facteur Vin. Habile jeux de mots pour ce porteur de bonnes et de mauvaises nouvelles qui a le vent dans les voiles du vin.
Gêné d’en parler
Après plusieurs mois et après avoir lancé son « Facteur vin », il multiplie maintenant les balados mais cela n’a pas toujours été facile d’en parler…sans gêne. « J’en parlais même pas avec mes amis ou avec les groupes de dégustation que j’avais un podcast, je gardais ça personnel. Par manque de confiance…par crainte de dire des trucs qui ne feraient pas de sens ou sonneraient bizarre et ça prend du temps pour s’habituer même à notre propre voix…Au travail, le monde pourrait me trouver prétentieux. Genre regarde le « péteux de broue »… De plus en plus je m’affirme, mais ça prend du temps… »
Cher pour la classe moyenne
Simon-Pascal Decoste a choisi un hobby plutôt cher au Québec. Après avoir investi dans l’achat d’équipement pour produire ces balados, il en restait un peu moins pour acheter du vin. « Quand ma conjointe me voit arriver avec une bouteille à 50 dollars, elle comprend pas, elle trouve que je suis déconnecté. Et elle a raison, parce que c’est tellement d’argent quand on y pense. De boire souvent des grands vins, on perd un peu la notion. ça devrait rester un événement parce qu’il y a une histoire autour de ces vins-là. »
Et dans son cellier ?
« Il y a de tout, beaucoup de Vieux monde. Des Bordeaux ? Oui, mais j’en achète plus vraiment, j’essaie de minimiser mes achats. En ce moment, je suis en recherche de trucs inusités à petits prix. » Bref, il profite souvent des promotions et rabais à la SAQ.
En rafale…
Le vin le plus cher qu’il a acheté ? « Du champagne Salon 1973 à 200 dollars la bouteille ! « On coupe dans le restaurant, on sort moins, pour pouvoir se le payer…On fait des sushis à la maison, c’est un peu moins bon qu’au resto parce qu’on n’a pas les bonnes techniques mais c’est tellement agréable de manger ce que l’on fait soi-même. »
Condamné à boire le même vin tous les jours ? Ce serait triste, mais le Patache d’Aux, un cru bourgeois de 2010 à 25$. On dirait qu’il traverse le temps sans même avoir vieilli.
Le dernier vin avant la chaise électrique ? Disons qu’un Romanée-Conti Montrachet, une belle année, à son « peak », ce serait ça… (Pour info, le 2010 s’est vendu à la SAQ pour 1600$…la bouteille !)
Le repas idéal avec quel vin et avec qui ? Je boirais un vin de Constance avec Napoléon. Apparemment, c’est ça qu’il buvait quand il était en exil…
Le plaisir liquide coupable inavouable ? Y’a rien que je serai jamais gêné d’ouvrir… La Pabs ? (bière de « hipsters »). Je préfère boire ça que la Budweiser ou la Coors, y’a au moins quelque chose dedans. Lors d’un concert, c’est bien…
En attendant, il parle devant un micro dans son sous-sol, en espérant qu’il y a quelqu’un au bout de la ligne…
Pour en savoir plus sur ce qu’il pense des vins de Constance, des portos, les magnums qu’il achète, écoutez ce…podcast !