Michel Phaneuf ou la vie après le vin
Il est un des pionniers du vin au Québec. Celui qui, il y a plus de trente ans, pensait qu’il y avait bien mieux à boire que l’Oiseau bleu, le Québérac ou encore le Mouton Cadet a guidé des millions d’amoureux du nectar vers ses coups de cœur et ses « grappes d’or ». Depuis peu, Michel Phaneuf a passé la main à Nadia Fournier, sa « fille adoptive ».
Le temps de prendre une pause et surtout de réfléchir à la vie après le vin. Son nouveau combat : la création d’un fonds pour la recherche sur la maladie de Parkinson, une maladie qui l’a privé petit à petit de sa capacité à goûter le vin, une capacité qu’il maîtrisait encore il y a quelques années…Entrevue sans modération…de générosité…
Par Frédéric Arnould (lefred@toutsurlevin.ca)
Rencontrer Michel Phaneuf n’est pas de la « petite bière ». Après tout, ce grand bonhomme, au propre comme au figuré, m’a fait découvrir à moi et à bien des Québécois, le marché du vin. Arrivé fraîchement de ma Belgique natale il y a 20 ans, son guide fut l’instigateur en moi d’une passion qui allait naître et qui m’a mené jusque dans l’espace de ce blogue. Lire le Guide Phaneuf, c’était se plonger dans des voyages virtuels où la découverte de cépages, de régions et d’appellations en a fait rêver plus d’un.
Un géographe en culottes courtes
Michel Phaneuf, communicateur de formation, a découvert le vin en 1975 avec le fameux Pisse-Dru, un vin facile, affriolant, dira-t-il. Je vous rassure tout de suite, il a bien vite affiné ses goûts. Ce qui l’a mené au vin remonte à bien longtemps, bien avant qu’il ne découvre la bouteille… « Dès l’enfance, j’étais fasciné par les cartes géographiques. Quand j’avais 7-8 ans, j’avais écrit à tous les consulats au Canada pour avoir des informations sur leur pays. Sur le Cambodge, le Vietnam, la Chine, le Kenya, la Norvège…J’étais un petit garçon et je recevais du courrier du consulat de Norvège, j’étais impressionné, j’étais fier de moi, j’avais l’impression de communiquer avec le monde, de m’ouvrir au monde. » Bien des années plus tard, la passion de la géographie s’est alors matérialisée autrement, à coup de bouchons. « Quand j’ai compris que le Bourgogne, c’était pas juste du bourgogne fait n’importe où, que c’était en Bourgogne, que le Bordeaux c’était à Bordeaux, que le St-Julien, ce n’était pas du Pauillac, tout ça a renforcé mon idée de la précision et de l’originalité du produit. Je suis devenu convaincu qu’il y avait une noblesse dans ce produit. Parce qu’à l’époque, on parlait de vin de façon hédoniste, on parlait beaucoup de la cuisse, de la jambe, mais moi je me disais ça peut pas être juste un produit d’apparat, ça n’aurait aucun sens qu’un produit qui soit dans la civilisation depuis aussi longtemps ne soit que ça. Plus je me documentais, plus je me disais pour que des gens persistent à cultiver la vigne dans des conditions aussi difficiles, dans les galets d’ardoises en Rhône par exemple. S’ils s’acharnent, c’est qu’il faut qu’ils soient vraiment bons. »
Le riesling spätlese dégusté en compagnie de Michel Phaneuf
Ensuite, il a commencé à creuser la matière vinicole, et son désir de communiquer sa passion fut plus fort que tout. Bref, sa vie a fait en sorte que son hobby est devenu son travail avec la publication en 1981 de la première édition de son guide du vin. Un risque calculé… « Le monde du vin n’était pas aussi vaste qu’aujourd’hui. C’était plutôt rudimentaire, c’était juste l’Europe dans la majorité des cas. La France, l’Italie, un peu d’Espagne, encore moins de portugais, quelques vins exotiques…Zéro chilien, zéro argentin… »
35 ans plus tard, le monde de l’édition a changé, Internet a bouleversé la donne mais le guide « version papier » existe toujours…pour l’instant. « Je suis arrivé au bon moment parce qu’il y avait beaucoup d’action ! Commencer un guide aujourd’hui, ça n’aurait pas été possible. Le guide se vend beaucoup moins qu’avant… Nadia Fournier (qui a repris les rênes du guide il y a quelques années), n’aurait pas pu partir de zéro. Il y avait déjà un chantier de construit pour elle et je suis très content de voir qu’elle poursuit. C’est une fille formidable, je suis très fière d’elle. »
Une retraite forcée
Il y a 8 ans, un désarçonnant diagnostic lui est tombé dessus : la maladie de Parkinson.
Pour des raisons de santé, je me suis beaucoup retiré. J’ai une maladie qui fait en sorte que j’ai beaucoup perdu l’olfaction et le goût. Donc je ne peux plus déguster comme je le faisais avant, pourtant c’est dommage, je ne veux pas paraître prétentieux, mais j’étais bon dégustateur, c’est plate pareil…mais c’était rendu qu’à la fin, avec Nadia, on tombait sur un vin bouchonné et je ne m’en rendais même pas compte, donc c’était pas moi, ça…
« Je bois encore du vin aujourd’hui, j’aime ça mais c’est certain que je ne peux pas l’apprécier à sa juste valeur autant qu’avant. Donc du fait de m’être retiré du guide du vin, de goûter moins bien, le monde du vin m’intéresse moins qu’avant, par la force des choses. »
De voir sa passion chamboulée par la maladie ne rend pas Michel Phaneuf désespéré. Au contraire, il a trouvé d’autres marottes : la photographie qu’il a ra repris depuis quelques années puis surtout, il y a le « Fonds de recherche Ginette Prémont (sa conjointe décédée il y a quelques années) et Michel Phaneuf sur le Parkinson de l’Université de Montréal ».
« Je suis très heureux de ça, je trouve que c’est un beau legs à laisser. Finalement, on trouve autre chose. Mais je n’ai pas complètement coupé les ponts. Ce que je regrette le plus, j’ai beaucoup aimé le vin, mais j’ai beaucoup aimé côtoyer les gens du vin, pas tellement ici mais surtout sur place, marcher avec eux dans les vignes, goûter avec eux dans les chais, approfondir des choses…J’ai moins d’occasion (pensif)…Le temps passe… »
Un de ses récents moments de tristesse, la mort d’un de ses amis, Paul Pontallier, du Château Margaux. Le départ de ce virtuose de la barrique, à 59 ans lui a infligé une grande peine. « C’est le genre de gens qu’on rencontre, ils sont immortels, il ne vieillissait pas, le temps glissait sur lui, un homme très brillant. »
Et la santé ?
« Je ne vais pas trop mal parce que dans le fond, même mon neurologue me dit qu’il est très surpris parce qu’après 8 ans de diagnostic je suis dans un état tout à fait valable, il est surpris de la lenteur de la progression. Je pense que j’essaie de vivre comme si je n’étais pas malade, de rester actif, de rester combatif, de m’entourer de gens que j’aime, faire de belles choses. Ce projet de financement de recherches, tout ça fait en sorte que si on conserve la notion, si on cultive un état d’esprit qui fait qu’on se sent utile, ça nous aide beaucoup, c’est presque une thérapie. »
Ce fonds de recherche qui lui tient tant à cœur a été constitué en grande partie par la vente de sa cave à la SAQ Signature il y a quelques années, qui l’a ensuite revendue à sa clientèle.
Son plus récent recueil de photos
Pas de regret !
« Je suis content parce que je me dis, mon affaire, ça a bien marché, j’ai vendu pas mal de guides (1 million !), le guide a été désigné meilleur livre du vin au monde aux Cookbook Awards et surtout j’ai reçu beaucoup de témoignages de gens que j’ai initiés au vin, ça me fait plaisir, les gens sont gentils, ils disent, j’ai connu le vin grâce à votre guide…Et je suis très très content que le guide a aussi servi à lancer la carrière de Nadia. C’est une sorte de continuité, surtout que je n’ai pas eu d’enfant. Elle est devenue un peu ma fille adoptive, elle est née en 1981, la première année du guide du vin. Dans le fond, dans la vie, les choses passent, on ferme le tiroir, ça devait être fait, ça a été bien fait, très bien, on tourne la page, on ferme le tiroir, on passe à autre chose…Et puis, tout en en profitant de la vie au maximum… »
Réflexions sur le monde du vin
Michel Phaneuf en a long à dire sur le milieu du vin. Un milieu pour lequel il n’est pas besoin de se battre tant que ça pour boire de grands vins. « Dès qu’on passe le « test de la compétence », les portes s’ouvrent et les gens sont gentils. »
C’est un monde de générosité, ça paraît cliché mais on ne discute pas d’achat de pétrole, on parle de produits de raffinement, de gastronomie, c’est un monde de diplomatie…Un univers captivant, riche et inspirant.
Selon son expérience, c’est quoi un bon vin ? Sur le plan technique, il doit être impeccable selon lui. Puis il cite Jean Delmas de Haut-Brion. « Qu’est ce qui fait la supériorité d’un grand vin ? Il m’avait dit leur équilibre, tout ce qu’il faut, mais pas plus…C’était aussi une petite taloche aux vins de garage, à l’époque où les vins étaient très concentrés, très puissants. C’était un dérapage, une mode. Heureusement, il y a des gens qui n’ont pas cédé à cette mode et ils sont restés fidèles à eux-mêmes. »
Rien à redire là-dessus, le Bordeaux a été souvent son terrain de prédilection. « C’était pour des régions personnelles, pour des raisons de relation avec de gens, ce n’est pas parce que c’est une meilleure région dans le sens absolu du terme. Bordeaux n’est pas meilleur que la Bourgogne, la Vallée du Rhône, la Toscane ou le Piémont. Pour moi, ça a donné comme ça, mon réseau s’est bâti à Bordeaux…j’aimais l’idée du vin de bordeaux, sa structure, sa hiérarchie, ses châteaux. Et les Bordeaux avaient une faculté de vieillir avec grâce. »
Bordeaux !
« Quand j’ai commencé au début des années 80, avec des amis, on pouvait se partager des bouteilles de Pétrus, de Mouton-Rothschild ou de Château Ausone, c’était faisable parce que ça coûtait 70-80$. Aujourd’hui c’est impossible, ça a pris des valeurs disproportionnées. L’écart de qualité avec le prix est disproportionné. Je trouve ça dommage parce que ça reste parmi les meilleurs vins du monde, mais on n’y a plus accès. Ce type de vin, c’est un objet de luxe, un signe extérieur de richesse, c’est une façon de montrer qu’on a réussi, c’est une façon de dépenser de l’argent quand on est archimillionnaire, on peut rien faire contre ça, c’est dommage. »
Et les primeurs de Bordeaux, où les « spécialistes » goûtent un vin qui a à peine 6 mois d’élevage et qui pourtant se fera étiqueter un prix souvent démesuré ? Il en est revenu il y a bien longtemps et il n’est pas tendre à l’endroit de certains de ces « spécialistes ». « Les plus connus ne sont pas les plus compétents, dans le journalisme. Je n’en dirai pas plus, j’ai vu des affaires. Je ne veux pas me montrer plus fin qu’un autre mais… J’ai été bien guidé par des professionnels du vin à Bordeaux qui m’ont dit, on va te montrer comment ça marche le vin, faut que tu comprennes ça, et ne pas arriver comme si tu faisais la loi…comme les Américains. »
Et la SAQ dans tout ça?
Celui qui vu la SAQ évoluer depuis les 35 dernières années s’interroge encore sur la formule du monopole mais moins qu’avant. « J’ai eu des batailles épiques avec la SAQ parfois….Quand on est plus jeune, on est toujours un peu plus révolutionnaire… Je me disais comment ça se fait qu’on n’a pas ces vins américains chez nous. J’étais en Californie en 1981 et je m’intéressais beaucoup à ces vins-là de la vallée de Napa : Clos du Val, Château Montelena, et Mondavi… On n’avait rien au Québec de ces vins-là… mais la SAQ a beaucoup évolué. »
Y’a pas de système parfait, mais il me semble que la SAQ fait tout ce qu’un monopole peut faire. Un monopole peut pas tout acheter, ce serait ingérable… On ne peut pas dire qu’on manque de choix au Québec…Est-ce que ce serait mieux dans un système privé ? Franchement, je ne sais plus quoi penser…
Lui qui est souvent perdu lorsqu’il se rend à la SAQ devant un tel choix de nouvelles régions a quelques conseils pour le néophyte. « La dégustation de vin, ce n’est pas une science exacte, on peut se tromper en bien ou en mal…Y’a pas de recette magique, mais il ne faut pas avoir peur des découvertes et pas avoir de peur de se tromper ou d’être déçu. Il n’y a aucun pays qui a le monopole de la qualité, y’a des bonnes choses qui se font partout. J’ai bu des vins remarquables, d’Afrique du Sud, de Nouvelle-Zélande, du Liban, de Suisse. On parle beaucoup des vins grecs ces temps-ci, avec raison. Le Portugal a fait une éclosion fantastique depuis une quinzaine d’années je dirais…Faut voyager aussi, on a la chance de voyager sans se déplacer, suffit de changer de rayon et on a des goûts différents. Les gens aujourd’hui sont moins obnubilés par le cabernet , le merlot, le chardonnay, ils sont moins craintifs de goûter à d’autres cépages autochtones de l’Italie ou de Grèce par exemple. »
Butiner le vin !
Bref, tout au long de sa vie du vin, Michel Phaneuf est heureux d’avoir eu la chance de boire tant de vins différents, à tel point qu’il a rarement bu le même plus d’une fois. « Il fallait tellement que je goûte que je buvais tout le temps quelque chose de différent par la force des choses. J’avais une cave de vieux vins pour mois, mais dans les années 90, je n’achetais plus de vins, j’avais trop de vins à goûter, alors je m’apercevais que je n’avais pas besoin d’en acheter d’autres. J’ai passé ma vie à butiner dans le fond. Ce n’est pas un regret ? Non pas du tout, je ne m’en porte pas plus mal au contraire. C’est quand on enseigne qu’on apprend le plus parce qu’il faut être au courant. C’est une forme d’enseignement que je faisais avec le guide du vin, donc j’ai beaucoup appris moi à faire ça. »
Aujourd’hui, Michel Phaneuf coule des jours heureux chez lui, sur l’île de Montréal en lisant du Jean D’Ormesson, (un de ses auteurs fétiches) et n’hésite pas à ouvrir une bonne bouteille de temps en temps, qu’il déguste contemplatif…entre deux prises de vues pour qui sait, un autre magnifique album photos. « Est-ce que c’est dommage de voir disparaître un monde, pour des raisons de santé, de perte d’olfaction…mais dans le fond, j’ai eu beaucoup de chance parce que d’abord je suis arrivé au bon moment, à une période où soudainement le vin était tout un monde à explorer et à expliquer, un monde riche, en développement qui bourdonnait.. moi quand j’étais dans mon travail, j’étais comme un poisson dans l’eau, ça me convenait, d’expliquer, de parler du vin, c’était facile pour moi, c’était comme un chef cuisinier ou comme un musicien qui jouait des sonates sans effort apparent, y’avait quelque chose, c’était un domaine qui me faisait comme un gant. »
Si vous voulez en savoir plus, je vous invite à écouter l’entrevue audio de Michel Phaneuf pour y découvrir ses anecdotes de dégustation de vins de Bordeaux et bien d’autre petits détails de sa vie…
En dégustant pourquoi pas, le vin qu’il m’a offert de partager, un riesling de 2001…
Très heureux que tu nous ais permis de pouvoir entendre, écouter l’intégrale de l’entrevue. Fort touchant.
Tigerrrr
Merci Tigerrr ??
J’ai eu la chance de côtoyer Monsieur Phaneuf et sa conjointe durant plusieurs années à titre de représentante. Des gens doux, ouverts et généreux. Je n’ai maintenant qu’à lui souhaiter le meilleur, il le mérite tellement.
Hélène Hétu
Merci pour ce partage touchant mais pas triste, je prendrai mon prochain verre à sa santé.
Magnifique article sur un Grand Monsieur du Vin.
Merci Pascal ??