Pourquoi il faut ignorer les notes et les points sur le vin
« Ce vin est exceptionnel car il a obtenu 94 points de la part de Robert Parker… » « Wine Spectator lui a donné 98 points… » « Ce vin rouge a reçu 5 étoiles de la part de Decanter… »James Suckling a décerné 92 points à ce magnifique Bourgogne… » Oui ? Et alors ? Achetez-vous vraiment du vin en fonction des points donnés par d’autres personnes ? Et si on en jasait un peu…
Par Frédéric Arnould (lefred@toutsurlevin.ca)
Que celui qui a déjà vu à la SAQ ou sur n’importe quel publicité de vin, un score de 82 points attribué à une bouteille, m’envoie une photo… J’attends…et je risque d’attendre encore longtemps, voire la fin des Temps. Personne ne va afficher un vin qui a 82 points sur 100. Je ne sais pas pour vous, mais quand j’étais à l’école, recevoir un 82% à un examen ou à un devoir n’était pas mal du tout, même très bien, non ? Alors comment se fait-il qu’un vin qui ait remporté un 82 points sur 100 soit aussi ignoré ?
La ridicule échelle de 100 points
Toujours plus haut, toujours plus gros…les Anglo-Saxons aiment atteindre les sommets. C’est pour cette raison que cette échelle de 100 points est vite devenue l’apanage de ces critiques à la Robert Parker. Cessons de déconner un peu. Récemment, on a vu apparaître ici et là des vins qui ont obtenu des notes parfaites de 100 points. Breaking news ! Le vin parfait existe ! Désolé pour les autres vignerons, vous n’avez pas eu la note parfaite, c’est terminé pour vous.
Toutes ces notes aussi superfétatoires soient-elles, n’existent que pour justifier le prix demandé au consommateur. Mais, aussi pour également légitimer les connaissances et préférences personnelles de l’expert à la Parker. Et les producteurs de vin tout comme des magasins de vin tels que la SAQ, le LCBO ou autres institutions privées ou publiques utilisent ces notes pour appâter le client. Mais où est l’appréciation du goût personnel de la personne la plus importante dans cette équation, c’est à dire vous, l’amateur de vin ? Nulle part…
Quand Robert Parker, un avocat récemment parti à la retraite, a lancé sa « newsletter » avec ses notes sur 100, il a réussi un tour de force, imposer sa vision du vin à l’ensemble de la planète. Sachant qu’il aimait les vins concentrés, bourrés de fruits mûrs et de solide emballage boisé, bien des vignerons ont lâché la proie pour l’ombre et ont changé leur façon de travailler dans le vignoble et au chai. La frénétique course au 90 points et plus était lancée…Et bien d’autres critiques ont emboîté le pas vers cette homogénéité de pensée…
Sauf que les goûts du consommateurs évoluent et à un moment donné, les palais se raffinent, se lassant de ces vins parfois pâteux et lourdauds sur l’estomac. Ceux qui ont vendu leur âme à la diabolique course au 100 points se retrouvèrent fort dépourvus quand la brise fut venue.
L’exemple de Wine Spectator
La très respectée revue américaine Wine Spectator a choisi son échelle d’appréciation (en anglais) selon ces critères de catégories de points.
- 95-100 Classic: a great wine
- 90-94 Outstanding: a wine of superior character and style
- 85-89 Very good: a wine with special qualities
- 80-84 Good: a solid, well-made wine
- 75-79 Mediocre: a drinkable wine that may have minor flaws
- 50-74 Not recommended
Appréciez la différence entre 80-84 points (un bon vin bien fait), entre 75-79 (un vin médiocre, buvable avec de possibles défauts) et entre 50-74 (non recommandé). Une question peut se poser, pourquoi ne pas faire une cotation sur 50 ou 25 puisque tout ce qui est en bas d’entre 50 et 74 n’en vaut pas la peine ? Ou pourquoi pas sur 10 ? Ou sur 5 ?
Même Decanter a succombé
Le prestigieux magazine britannique Decanter s’en était tenu à une échelle sur 20 points pendant de très nombreuses années, mais aujourd’hui, il suffit de lire un des récents numéros pour constater que la sacro-sainte échelle sur 100 a encore gagné.
Jetons-y un coup d’œil, car ils ont d’ailleurs créé une échelle de conversion de leur ancien système.
N’est-il pas fascinant de constater qu’une note de 90 points signifie de 17 à 17,25 sur 20 (et non 18) ? Et que 89 est égale à 16,75 ? Et que 70/100 (vin de piètre qualité selon eux) vaut 11 ou 11,25 /20… On n’a plus les règles mathématiques qu’on avait, vous en conviendrez. Quant à un vin qui obtiendrait entre 69 et 50/100, on parle ici de vins défectueux.
Personnellement, quand un conseiller en vin ou un agent d’importation de vin me vante les notes de telles ou telles bouteilles, je m’abstiens de tout commentaire car ces chiffres abstraits m’importent peu. Soyons clair, comment comparer un Châteauneuf du Pape qui obtient 89 points pour un prix de 45 $ alors qu’un vin du Languedoc vendu 19 $ obtient une cote de 88 points ? Et puis, si on se fixe comme objectif d’acheter des vins qui se méritent au moins 90 points, imaginez tout ce que l’on peut manquer comme bonnes surprises.
L’audace de la surprise !
Ma longue diatribe sur le sujet m’amène sur une évidence : pourquoi confier à d’autres qui n’ont pas forcément votre palais, la délicieuse tâche de déguster le vin ? Oui, le marché du vin peut-être intimidant parce qu’il est vaste mais pourquoi s’empêcher de le découvrir un verre à la fois ? On choisit son vin en fonction de ce qu’on aime dedans : les arômes, l’acidité, les tanins ou pas, le fruit, sa capacité de vieillir et non pas parce que quelqu’un a décidé qu’il méritait 86 points et plus. Oui, acheter du vin un peu à l’aveugle peut faire peur et mener à d’amères déceptions mais aussi à de formidables découvertes insoupçonnées. Profitez des dégustations dans les salons et festivals de vin pour vous faire une idée et faire abstraction de ces notes qui ne veulent pas dire grand chose. Car, si vous regardez une liste de vins avec des scores de 86 à 95, vous irez probablement vers ceux qui ont obtenu les meilleures cotes. Même chose pour les notations à étoiles. Si un vin obtient deux étoiles sur 5, vous préférerez probablement celui qui en a obtenu au moins 3, même si les notes de dégustation semblaient malgré tout alléchantes pour celui qui a obtenu 2 étoiles….
Pour ma part, j’ai bien trop de respect pour ces agriculteurs que sont les vignerons pour comparer leurs travail dans l’absolu sans égard à leurs moyens, leurs chances de réussir, leurs malheurs et autres impondérables qui ont tous un impact sur le produit qu’ils tentent de mettre au point année après année.
Ainsi, lorsque je goûte un vin, j’en fais l’analyse olfactive (arômes, caractéristiques etc) et note ce qui me plaît dans ce qu’il y a dans le verre. Ainsi, j’en parle sur ce site avec des mots que j’espère simples et invitants, tout en gardant à l’esprit que tous les palais sont différents et que je suis capable d’apprécier un vin en fonction de cette variété de palais.
Au fait, n’oublions jamais que le vin est et restera toujours du jus de raisin fermenté… Et rappelez-vous que si votre enfant obtient un 72% lors d’un examen, il mérite toujours des félicitations… Au moins, faites-le en mémoire des vins à 72 points qui eux, n’auront jamais cette chance de se faire apprécier. Trinquons !