Fabrizio Bucella, le scientifique viral du vin
Vous êtes peut-être tombés récemment sur la bonne bouille du professeur Fabrizio Bucella entre deux vidéos sur les réseaux sociaux. Avec son accent bien marqué et son humour désopilant (poil aux dents), ce Belge est apparu comme un ovni dans le monde des réseaux sociaux du vin.
Pourtant, ce joyeux drille bardé de diplômes scientifiques, sillonne le milieu du vin depuis des années avec la publication d’ouvrages de références. Il est aussi un infatigable communicateur et prof d’université. Une entrevue à lire tout en sirotant un Bourgogne, ou une bonne bière recommandée par ce zythologue dont le style inénarrable vous raffermira les zygomatiques.
Fabrizio Bucella dans un des cours qu’il professe
D’abord, avant d’en arriver au vin et à la bière, Fabrizio Bucella voulait donner, non pas son corps, mais bien ses années d’études à la science.
“J’ai démarré des études de physique et j’ai fait un doctorat dans le domaine. C’est parce que je voulais essayer de comprendre un peu comment le monde fonctionnait. Et puis, au fur et à mesure, il y a aussi quelque chose qui s’est développé, qui est une forme de passion de la transmission qui s’est petit à petit formalisée, que ce soit à travers les vidéos, les cours, les conférences et les livres.”
Ce côté scientifique et pédagogique de vouloir décoder des choses l’a donc mené à devenir docteur en physique, et professeur de mathématiques de l’incertitude et de logique à l’Université libre de Bruxelles.
Mais, le vin dans tout ça ?
“Mon père était d’une famille d’agriculteurs. Mon grand-père avait aussi des vignes dans le nord de l’Italie, au-dessus du lac de Garde, dans les montagnes. Donc moi, j’ai toujours eu une goutte de vin dans le verre Duralex. Après en dernière année de secondaire, on a fait un voyage un peu épique où on a bu du matin au soir en Bourgogne. C’était pas vraiment exactement du matin, mais de la fin de la matinée jusqu’au soir. On passait de cave en cave, de restaurant en restaurant. Je peux vous dire qu’en sortant de ce voyage, je me suis dit de retour à Liège, qu’il y avait un univers sensoriel qui s’est révélé pour moi.”
Bien plus tard, pour s’assurer une crédibilité, il s’est donc dirigé en parallèle vers une formation en sommellerie.
“Je me suis dit voilà, si je veux d’une manière ou d’une autre réussir à continuer un peu dans cette voie, je me dis que j’aurais besoin un jour d’un titre. Ça, ça peut être un peu un réflexe un peu universitaire, avoir un titre pour pouvoir dire les choses. Et donc j’ai fait une qualification de sommelier à l’Association italienne de sommeliers qui a un gros cursus avec trois niveaux.”
Tout en poursuivant son enseignement à l’université, il a alors commencé à écrire sur le vin dans le Huffington Post français pendant presque dix ans. Chemin faisant, il publie alors plusieurs livres sur la chose bibitive. Ses livres sont disponibles au Canada ici, et ici en Belgique et en France.
Une arrivée en trombe sur les réseaux sociaux
Boulimique du travail (workaholic pas alcoolique), Fabrizio Bucella veut se diversifier, à la recherche de nouveaux publics et se lance tête la première vers l’univers de la viralité et “buzz”.
“J’avais lancé une chaîne YouTube pendant le confinement avec des vidéos longues qui étaient des espèces de cours que je donnais en plus en direct. Mon vidéaste ne pouvait pas venir à la maison et je devais tout faire. Moi qui ne suis pas technologique, c’est un peu compliqué, mais ça a super bien marché parce que forcément, les gens étaient à la maison. Pendant huit semaines à dix semaines de confinement, j’ai assuré un cours sur les vins de Bordeaux. »
« L’année dernière, des étudiants nés en 2005 viennent me trouver dans l’amphithéâtre et me demandent, mais monsieur, pourquoi vous n’êtes pas sur Tik Tok ? Moi, je les regarde avec des grands yeux de merlan frit et je leur dis, mais c’est surfait Tik-Tok, pour me garder une certaine contenance.” Fabrizio Bucella
Cependant, cela le turlupine pendant quatre ou cinq jours, Résultat, le prof Bucella se lance sur la plateforme avec une première courte vidéo que l’on retrouvera ensuite sur Instagram et Facebook. S’ensuivent des questions-réponses tout à fait délicieuses en vidéo courte.
Quand faut-il carafer un vin ? Existe du vin halal ? Que boire avec le chocolat ? C’est quoi une bière IPA ? Peut-on conserver une bouteille de vin dans la porte du frigo ? Que boire avec le saumon fumé ? C’est quoi le millésime ? Pourquoi ne faut-il pas acheter du rosé en vacances ? Que voir avec une fricadelle (curiosité belge antithèse de la gastronomie) Ou encore comment monter une sauce mayo comme un pro ?”
Le tout avec son style si particulier et son écouteur (avec fil) du iphone vissé dans l’oreille droite. Bref, on se laisse emmener dans son univers décalé, déjanté et bougrement intéressant. Pourquoi ? « Because because, la science peut tout. » Avec en plus sa signature personnelle : « Salukes ! » (une combinaison du français salut et du pluriel du diminutif flamand -ke.)
“Moi, ça me permet de jouer un peu avec les mots, l’humour, c’est un truc qui me porte depuis que je suis tout gamin.” Fabrizio Bucella
Cela semble si simple, et pourtant.
“C’est pas du tout facile à faire parce qu’il faut tout scénariser, tout scripter, c’est un vrai travail. Je pense que le fait d’être un peu comme ce que disent les anglo saxons, workaholic, ça aide. L’énorme positif que je reçois des réseaux fait qu’on trouve le temps de le faire. Je me suis toujours dit que c’est un projet pour lequel je m’amuse comme un enfant à le faire. Si, un jour, ça devient un boulet, ce sera l’occasion de revoir et de revoir les priorités. Mais, les gens sont en fait ravis d’avoir des informations par ces vidéos. Il y a un vrai intérêt et ça je trouve, c’est le plus beau.”
Le prof Bucella en scéance d’enregistrement de ses capsules
Son plaisir est sans équivoque, il aime ça et surtout parce que cela lui permet de “conquérir” davantage d’autres clientèles.
« Il y avait un vrai défi sur le format et la vidéo très courte. Mais il y a le plaisir d’aller chercher un public qui délaisse un peu les méthodes de communication traditionnelles comme la télé, les journaux et les livres. Toucher des gens qui ne sont pas nés au XXᵉ siècle et qui, à la limite, n’ont jamais tenu un journal papier en main. Il y a une forme de pari sur l’intelligence. Ils ne sont pas plus bêtes que nous à leur âge et à la limite, je crois même qu’ils sont plus intelligents parce qu’ils ont plus de défis à relever sur l’état de la planète que ce que nous on devait penser quand on avait leur âge. »
Mais, est-ce que cela rapporte, être “vinfluenceur” ?
« On m’a proposé et on me propose encore régulièrement des espèces de partenariats. Il y en a qui veulent envoyer des bouteilles comme ça, je vais en parler. Moi, je refuse toujours poliment parce que honnêtement, ça ne m’intéresse pas. Enfin, je pense que les gens vont vite se rendre compte qu’à un moment donné, on parlait de ce vin là parce que puisque vous avez reçu les bouteilles. »
Est-ce à dire qu’il refuse toute commandite pour monétiser un peu son énorme travail de vulgarisation ?
« L’idée n’est pas de le dire : Ah non, jamais, je veux continuer de perdre de l’argent, mais s’il y a quelque chose qui peut se créer intelligemment dans un beau partenariat qui respecterait ce que je fais? Pourquoi pas? » Fabrizio Bucella
Mais que boit Fabrizio Bucella ?
Dans sa cave de 500 bouteilles, on trouve des vins italiens (Toscane et Piémont) et français (Bordeaux, Bourgogne, Languedoc et Loire), mais aussi quelques gueuzes de Cantillon, des vieux portos et des vins nature qu’il semble affectionner particulièrement.
Un vin qu’il emmènerait sur une île déserte ? “Un Montrachet” dit-il sans hésiter.
Qui ne voudrait pas avoir Fabrizio Bucella comme prof ?
Et pour le novice qui voudrait découvrir la bière ou le vin ? “ »Je n’irai pas sur la gueuze qui est plus un alcool de grain. Je lui proposerais une Rochefort, par exemple, une trappiste, qui a un côté accessible avec une pointe de sucrosité, mais quand même énormément de complexité. »
« Pour quelqu’un qui n’a jamais bu de vin, peut-être qu’on partirait sur un blanc parce qu’en général l’appréciation des tanins dans les rouges est difficile, mais on pourra éventuellement partir sur un rouge du Beaujolais, comme un Morgon de Lapierre, le fameux vin dont le philosophe Guy Debord disait qu’aucune aucune déception ne résiste à un Morgon Lapierre. » Fabrizio Bucella
Pour ceux que cela intéresse, sachez que Fabrizio Bucella professe le vin et la bière dans plusieurs universités et grandes écoles françaises, notamment dans les masters en droit du vin des universités de Bordeaux et de Reims Champagne-Ardenne, à la Kedge Business School et à Sciences Po Lille. À Bruxelles, il dirige l’école d’œnologie Inter Wine & Dine. Les Belges ont aussi le plaisir de le voir et de l’entendre sur les diffrentes plateformes de la RTBF. Rendez-vous sur ses médias sociaux pour se régaler de ses capsules. Allez, salukes!