Trois restauratrices face à la vague du coronavirus
C’est tout un tsunami qui frappe le milieu de la restauration. Fermeture d’établissement, mises à pied massives, parfum de faillite, la recette fait peur. Portrait de la situation avec trois sommelières propriétaires de restaurants.
Par Frédéric Arnould (lefred@toutsurlevin.ca)
« Pour te donner une idée, quand on avait décidé de rester ouvert à moins de 50% de la capacité de la salle à manger, cette semaine-là, on a fait en une semaine le chiffre d’affaires qu’on fait normalement un mercredi soir. C’est même pas 15 %. » En quelques mots, Sindie Goineau, copropriétaire de Chez Victoire à Montréal, plante le décor de sa nouvelle réalité.
Sindie Goineau (crédit : Maggie Boucher)
« On a demandé à notre propriétaire d’avoir une pause (de loyer) mais c’est une roue qui tourne, ce sont les fournisseurs de légumes de viandes, de vin… on n’a pas le choix de continuer à payer. On a 80 pour cent de nos employés qui sont au chômage. » Pour ce resto qui fait partie des adresses de référence sur le Plateau comme pour d’autres établissements, le fait de rester fermé pendant deux ou trois mois et de ne pas avoir de revenus, risque d’en pousser certains vers la faillite.
Des plats à emporter salvateurs
Ce n’est pas la panacée, mais de plus en plus de restaurants choisissent la voie des plats à emporter. Parce que c’est parfois une question de survie. « On pourrait passer à travers la crise grâce à ça » explique Sindie Goineau. Même si les ventes représentent seulement 30% du chiffre d’affaires habituel. « C’est beaucoup de stress. »
« En ce moment, c’est comme si on ouvrait un nouveau restaurant à l’intérieur de notre restaurant. »
« C’est de l’adaptation très rapide. » Ainsi, dans les prochains jours, elle compte implanter un service de livraison.
Chez Victoire n’est pas à proprement une « binerie », c’est plutôt un restro « bistronomique » qui s’adapte et a mis en place un menu spécial pour emporter. Mac and cheese, lasagne, plats « comfort food » avec en plus sur place une section « épicerie » de sous-vide (onglet de bœuf mariné et pieuvre prête à manger).
Puisqu’on ne pense pas forcément à ce type de restaurant pour commander du « take-out », elle fait tout un effort pour publiciser son service. « On fait ce qu’on peut avec les moyens du bord, avec les infolettres et les contacts, mais, on n’a pas de budget, on est vraiment limité. »
Survivre en région
Sophie Allaire était loin de se douter qu’ouvrir un restaurant avec son conjoint dans les anciens locaux du restaurant de Champlain Charest dans les Laurentides, allait être frappé de plein fouet par cette crise inattendue. « On savait qu’on voulait quitter Montréal parce que c’était saturé au niveau de loyers, des taxes et on ne voulait pas avoir trop de partenaires. Donc on a pris la décision d’aller en région. On a travaillé 7 jours sur 7 pendant 5 mois avant l’ouverture, se rappelle-t-elle. Quelques mois plus tard seulement arrive la COVID-19 et son cortège de mesures écrasantes. « On avait prévu prendre des vacances avant la crise, c’est comme si on avait vu un peu dans les étoiles. Les employés étaient au courant qu’on fermait à cette période-là, donc avait déjà entamé les démarches. »
Sophie Allaire (crédit : Maggie Boucher)
Ainsi, avant que François Legault ne prohibe les rassemblements de 250 personnes, elle et son conjoint avaient pris la décision de fermer le restaurant. « Ce qui m’a mis la puce à l’oreille, c’est une réservation d’un groupe de médecins et de pharmaciens qui a été annulée le 14 mars, car il y avait un des médecins qui était en quarantaine donc cela commençait déjà. »
Tous les projets prévus avant l’été, parmi lesquels de la rénovation, sont donc tombés à l’eau . « On veut rouvrir au plus vite, dit Sophie Allaire. Et le programme fédéral de subvention de salaires à 75% nous donne un grand élan d’espoir, parce que ça va nous motiver à réembaucher notre main d’œuvre plus rapidement. »
Mais elle n’est pas au bout de ses peines si la crise perdure d’ici l’été.
« Si la saison estivale n’est pas bonne, cela risque d’être dangereux pour la pérennité de l’entreprise. »
« C’est un gros stress, on est vu quand même comme un produit de luxe. On n’est pas un resto de tous les jours, c’est une belle sortie donc on est quand même dans les choses que les gens vont couper en premier, s’ils doivent faire des économies. » En attendant, elle se dirige elle aussi vers un service de plats à emporter.
Repenser le métier de restaurateur
À l’autre bout du fil (oui, je sais, il n’y a plus de fil, ce sont des portables, mais bon, façon de parler) Roxane Bégin me confie que « ça pourrait aller mieux ». Sommelière et copropriétaire du restaurant « L’Imposteur » elle a fait le pari d’ouvrir ce resto végétarien dans Lanaudière il y a deux ans et demi. Elle non plus n’aurait jamais pensé qu’une telle crise pourrait frapper son commerce. « C’est déjà assez difficile d’être restaurateur, j’ai travaillé pendant 10 ans avant d’ouvrir mon resto, je voyais déjà les maigres marges de profits, mais là c’est pire. »
Roxane Bégin (source : Facebook)
Ainsi, depuis quelques semaines, elle enregistre une baisse de revenus d’au moins 65-70%. « Les clients fidèles qui nous soutiennent nous disent qu’ils ne veulent pas qu’on ferme.
« Avant, on faisait 70 heures par semaine, là on en fait presque autant parce qu’on veut sauver notre restaurant en essayant de courir à droite à gauche, pour se renseigner sur ceux qu’on peut faire. »
Ne se décourageant pas une seule seconde, elle songe à augmenter son offre de service traiteur. Un autre défi en région. « À Montréal, il y a beaucoup de restaurant qui se sont mis à offrir la livraison de plats à emporter. En région, ce n’est pas le premier réflexe de se dire ben, on va encourager local« .
Plats végétariens du resto L’Imposteur
Des réseaux sociaux incontournables
Les Facebook et autres Instagram de ce monde sont devenus des plateformes inévitables pour garder la tête hors de l’eau en ces temps de crise, selon elle. « Être actif sur les réseaux sociaux, en ce moment cela fait partie aussi de mon 70 heures par semaine. C’est peut-être quelque chose que les restaurateurs faisaient moins avant. En étant confinés, les gens sont beaucoup plus sur l’ordinateur ou leur téléphone, il faut donc se réactualiser avec ça. »
En temps de crise, les entreprises voient parfois les obstacles avant de saisir les opportunités. Ce n’est pas son cas. « On va profiter de la crise pour se poser la question : notre resto était rentable avant mais comment peut-il l’être après la crise. C’est un bon moment pour se poser des questions là-dessus et de réintégrer plus de « take-out » pour le futur. »
Les choix des sommelières
Ce n’est pas parce que c’est la crise qu’il ne faut pas égayer un peu la vie avec un peu de jus de raisin fermenté. Voici quelques suggestions de nos trois guerrières de la restauration. Courage à elle trois !
Sindie Goineau, Chez Victoire, Montréal
« Pour ceux qui peuvent encore se le permettre, du champagne pour mettre du sourire aux lèvres. Le blanc de blanc de Pascal Doquet est un bon rapport qualité prix. »
« Histoire d’encourager les vignerons du Québec pour encourager les produits locaux, j’irais avec le chardonnay de La Cantina à Oka. Et pour l’apéro, le pinot gris du Domaine Saint-Jacques ou un rosé pour le printemps avec Le Pive des domaines Jeanjean. »
Sophie Allaire, La Belle Histoire, Sainte-Marguerite
« Ces jours-ci, on se demande plutôt quels jours on ne va boire cette semaine, plaisante-t-elle. Faut faire attention avec tous ces apéros virtuels ! »
« J’aime beaucoup les vins du Jura comme le poulsard du Domaine de la Pinte ou encore en blanc le Cheverny de Hervé Villemade. Sinon buvons québécois avec les bière, cidre, et vin d’ici.
Roxane Bégin, L’Imposteur Resto-Traiteur Végé, Saint-Julienne
« J’apprécie beaucoup les vins du Sot de l’Ange, ou ceux de Oliver Pithon. Ils sont pleins de fraîcheur et ils se prêtent en ce moment à toutes les occasions avec beaucoup d’expression. Sans oublier un domaine d’ici, Le Château de Cartes. »