Une apprentie qui ne deviendra probablement jamais sommelière

Marie-Hélène Boisvert, Une apprentie qui ne deviendra probablement jamais sommelière

Spécialiste des réseaux sociaux dans le domaine du vin, Marie-Hélène Boisvert en a long à dire sur le milieu vinicole sur le web. Celle qui s’occupe entre autres des médias sociaux pour la SAQ , la Grande dégustation de Montréal  et les vins d’Afrique du sud  a une passion pour le vin, qu’elle essaie de transmettre en toute simplicité alors que le milieu des « sommeliers » et de la dégustation « se la pète parfois ».

Par Frédéric Arnould (lefred@toutsurlevin.ca)

Tout mène aux réseaux sociaux à condition de sortir de la fonction publique, pourrait dire l’adage qui se prête à la situation de Marie-Hélène Boisvert. « Quand j’ai étudié en psychoéducation, une de mes professeurs m’a dit que j’avais une personnalité diffuse et je pense que je suis une personnalité diffuse (rires). C’est juste des personnes qui vont peut-être changer de carrière et qui ne seront jamais bien dans la même chose toute leur vie, et j’avoue à mon grand désarroi, que je me reconnais là-dedans. Moi j’ai étudié en sciences politiques, en relations internationales à l’UQAM, j’ai vraiment aimé, ça, je savais que je ne travaillerais pas là-dedans mais j’avais comme envie d’avoir une culture générale plus développée, prendre des cours de philosophie… étudier un domaine qui ne me ressemblait pas en fait (rires). »

mhbL’intérêt pour le vin, Marie-Hélène l’a développé au gré de formations à l’ITHQ (Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec) puis en prenant des cours au WSET (Wine and Spirit Education Trust, niveau 2 et 3). «C’est sûr que quand j’ai commencé à étudier le vin, ma mère a consulté mon copain pour voir si j’avais un problème d’alcool, il me semble que sur Facebook, elle parle souvent de vin puis évidemment, elle savait pas que c’est pas parce que je parle de vin que je suis en train de le boire.»

Relation conflictuelle avec le vin

Le souci maternel trouve sa source dans un élément de la vie familiale de Marie-Hélène. « Mon père aimait beaucoup le vin, il se faisait des dégustations de Bordeaux avec ses amis et ça me fascinait de le voir prendre des notes  et y’en avait aucun qui avait pris un cours de sommellerie…je ne me souviens pas lequel mais j’avais bu un Bordeaux et j’avais détesté ça, j’avais 15 ans. Mon père a un problème d’alcool. Veux, veux pas, c’est lui qui m’a fait aimer le vin, mais c’est lui aussi qui me rappelle quotidiennement que je ne veux pas aller dans sa même direction. » Question : Pas facile donc de vivre avec ce rappel quand on fait ce métier ? « Je suis vraiment chanceuse parce que mon corps est vraiment « moumoune », je bois deux verres de vin, pis je me sens déjà un peu pompette, donc ça m’aide quotidiennement aussi. J’ai grandi en voyant mon père saoul, les gens saouls me tapent sur les nerfs, j’ai de la misère avec ça… moi j’aime le vin pour la dégustation et c’est pas vrai que tu goûtes encore après la douzième bouteille de la soirée que tu bois là. On dirait que mon corps fait une limite et que j’ai envie d’eau après. »

appSauter dans le « vide » du vin

Il y a 5 ans, elle s’est tournée vers l’animation de soirées thématiques sur le vin pour son plaisir et celui des autres.  « J’ai organisé les soirées qui avaient pour nom « VinoMontréal ». L’idée c’était d’organiser des soirées qui s’adressaient à moi et à des gens qui, comme moi, voulaient en découvrir un peu plus sur le vin, sans que ce soit super compliqué avec des soirées à thèmes, soit sur les cépages ou une région et je demandais au sommelier de l’endroit de nous parler un peu de cette thématique-là. Le tout sur un ton inclusif et non hermétique. »

Un succès qui l’a mené à la création de son blogue « L’Apprentie sommelière », ce qui l’a aidé à étudier le vin. Et alors qu’elle travaillait dans la fonction publique avec une certaine sécurité d’emploi, elle dcide alors de quitter ce confort pour se lancer à son compte comme consultante en réseaux sociaux. Bref, elle a créé son emploi de rêve en unissant deux choses qu’elle aimait, le vin et les réseaux sociaux.

Juste une apprentie sommelière ?

Au gré de la connaissance du vin qu’elle amasse, nombreux sont ceux qui lui demandent quand elle compte changer le titre de son blogue. « Dans ma tête, je vais toujours être apprentie parce c’est un domaine si vaste,  je ne pense pas qu’un jour je vais pouvoir dire que je sais tout. Et je ne travaille pas en restaurant, donc je ne suis pas une sommelière et c’est aussi un peu un « statement » contre certains personnes de ce milieu-là qui, je trouve, se la pètent un peu. Je veux pas être comme ces gens-là, je ne suis pas comme ça de toute façon. Pas question donc de changer le nom de mon blogue, le titre ne m’intéresse pas, moi je suis consultante en réseaux sociaux. » Y’aurait-il trop de prétendus sommeliers et dégustateurs ? « Quand je me retrouve en situation ou avec des pros, je veux tellement pas ressembler à ces gens-là qui n’y connaissent rien, qui étalent leur non-savoir, qu’on dirait que je me freine, et je me rends compte que dans les dégustations à l’aveugle, les moments où je performe le mieux entre guillemets, c’est quand je me sens avec des gens complètement à l’aise, je ne me sens pas jugée par des pairs. Je n’aime pas les gens qui, en dégustation, vont sortir des arômes typiques du cépage qu’on sait qu’on déguste. C’est le fun d’aller plus loin que ça, j’aime les gens intelligents qui se prennent pas pour d’autres en fait, qui sont capables d’admettre qu’ils ne savent pas tout »

Donneurs de leçons mal placés ?

Le domaine du vin étant vaste, le monde qui gravite autour est cependant plus restreint. Là aussi, elle constate lors de voyages organisés pour les professionnels que certains en « rajoutent parfois une couche » pour masquer certaines lacunes. « Quand on fait des voyages de vins, ça m’énerve les journalistes qui posent la question, vous avez combien d’hectares, moi je trouve qu’ils devraient faire leurs devoirs avant, plutôt qu’est-ce que vous pensez du bio, où est-ce que vous vous souhaitez par rapport aux autres vignerons de la région. Avoir l’opinion de la personne, la plupart du temps c’est de ça que les vignerons ont envie de parler, y’ont pas envie de parler de statistiques. « Je trouve que les gens qui se la « pètent » un peu, ils restent dans cette sphère-là :  Ah,  je vais poser une question technique pour avoir l’air hot et là maintenant je sais il y a combien d’hectares. Mais qu’est-ce que ça te donne ? T’aurais pu le lire sur le site web. »

reseauxLe vin sur les médias sociaux

Marie-Hélène Boisvert gère aujourd’hui plusieurs comptes de réseaux sociaux, notamment celui de la SAQ Cellier. Celle qui navigue énormément sur la toile estime que beaucoup d’entreprises impliquées dans la production ou la vente du vin sont loin d’avoir compris le fonctionnement des réseaux sociaux. «Le domaine du vin en a beaucoup à rattraper. Je vois des gens qui publient une photo d’une bouteille de vin qu’ils ont aimée, qui l’encensent et il y a aucune agence d’importation qui reprend ça, c’est du contenu gratuit, je comprends pas, c’est pas compliqué. Certains événements vins où l’on va, parfois on ne trouve même pas le « hashtag », pour moi c’est quand même la base, on est quand même rendus en 2015.» Les vignobles en prennent aussi pour leur grade.  « C’est encore pire. Si on leur demande (par exemple à Bordeaux), s’ils sont sur les réseaux sociaux, c’est comme une insulte, ils sont trop extraordinaires pour être sur les réseaux sociaux, alors que je trouve que de nos jours c’est une bonne façon de donner de l’information, de créer une communauté autour d’une marque de vin ou d’une agence d’importation. Pour moi, les réseaux sociaux c’est comme si on parlait devant un public, avec quelqu’un donc si on publie et qu’il y a des gens qui réagissent et qu’on leur répond pas, c’est comme si je te parlais en ce moment, je te pose une question, pis tu me réponds pis moi je réponds pas, je m’en vais, les gens doivent comprendre que c’est une discussion, une opportunité de discussion avec le client »

Un réseau pour chaque chose

Faut-il pour autant tirer tous azimuts sur tous les réseaux sociaux ? « Chaque réseau social rejoint des gens différents. Twitter, l’importance d’être là c’est parce que tu vas rejoindre les influenceurs, les blogueurs, les journalistes, donc si tu es là tu vas publier des messages qui s’adressent à ces gens-là, des articles un peu plus techniques parce que ce sont des gens qui peuvent chercher un peu plus d’information.  Si je suis sur Facebook, je peux décider de publier des articles un peu informatifs, plus le « day to day », une photo du chai aujourd’hui , on est dans le vendanges, on n’en peut plus, on a les doigts mauves…c’est ça l’idée de personnaliser l’entreprise, de créer un sentiment d’appartenance, on veut savoir ce qui se passe. » Et Instagram alors ? « Ce n’est que des photos, mais par exemple j’avais conseillé à un bar à vin de créer des comptes instagram au nom des sommeliers, en fait on aurait suivi ce qui se passe dans ce bar à vin chaque semaine, moi je trouve que cela aurait été le fun. »

Bref, Marie-Hélène Boisvert savoure la vie autour du vin qu’elle déguste ici et là, tout en tapotant sur son clavier pour animer les réseaux sociaux, toujours prête à offrir ses services aux entreprises, qui semble-t-il, en auraient bien besoin.

Pour connaître les bons exemples d’entreprises vinicoles qui sont actifs sur les réseaux sociaux, le coup de cœur vin de Marie-Hélène Boisvert qu’elle emmènerait sur une île déserte et les pires vins qu’elle a bus, écoutez son entrevue audio ci-après, en buvant un vin de Provence.