Est-il trop tard pour sauver l’industrie du vin au Québec ?
Pour faire du vin au Québec, il faut être un peu « fou ». Et des fous, il y en a. Surtout des passionnés comme Anthony Carone et sa femme Sara Hoodspith qui font notamment du pinot noir à Lanoraie dans Lanaudière. Deux iconoclastes qui n’ont pas leur langue en poche et qui n’hésitent pas à tirer à boulets rouges sur le gouvernement, son monopole et une industrie vinicole qui doit, disent-ils, se réveiller avant qu’il ne soit trop tard. (entrevue audio à la fin de l’article)
Par Frédéric Arnould (lefred@toutsurlevin.ca)
Je l’avoue d’emblée, je ne connaissais pas les vins Carone. En les cherchant sur Internet, je suis tombé sur leur site et franchement, je pensais m’être trompé en voyant ces photos artistiques super léchées et ces bouteilles de vin aux étiquettes épurées et aux noms énigmatiques (loin de certains « concepts » de vignerons québécois). On aurait dit un site de vins d’importations étrangères. Et pourtant, Carone est bel et bien installé à Lanoraie dans Lanaudière. C’est un couple qui est la tête de cette entreprise familiale, Anthony Carone, le vigneron et son épouse Sara Hoodspith, qui s’occupe des ventes et du marketing. Des iconoclastes à leur façon qui exportent leurs vins en Chine, en Europe, au Japon et aux États-Unis !
Exportations du vin québécois
« Le marché local commence à être saturé, y’a pas assez de demandes pour la croissance qu’on a dans cette industrie, explique Anthony Carone. L’année passée, l’industrie a produit 2 millions de bouteilles, cette année, ça va être 2 millions et demi, l’année prochaine ça va être peut-être trois millions, mais la tendance de la consommation pour suivre cette tendance de croissance est pas là au Québec, c’est beaucoup plus lent, donc il faut trouver d’autres marchés, on peut pas toujours garder du vin en entreposage, il faut commencer à l’exporter ». Rien ne semble arrêter leur audace et leur ambition qui les ont conduits à se lancer dans la production de vins rouges, tout un défi pour le climat québécois ! Mais comment arrivent-ils à exporter du vin québécois ? « Tu prends la même bouteille, tu la présentes à un Québécois, il va dire, oh un vin québécois, je déteste ça, dit-il. Tu la présentes à un Américain, il va dire Wow Québec wine, I like it. Pis, à New York, c’est ça l’expérience qu’on a eu ». Sara Hoodspith renchérit : « C’était un pinot noir, eux ils ont le concept qu’on est dans un igloo. Mais pour eux, ça veut dire que c’est produit par quelqu’un qui est vraiment passionné, ou fou derrière cela, pis il veut déguster ».
Le gouvernement doit sortir du business du vin !
Ne lui parlez pas du monopole de la SAQ, il est intarissable. « Les monopoles, ça n’encourage pas le produit local et c’est pire encore si on essaie de percer ce marché-là avec des prix de 15 et 16 dollars ». Quand on lui demande ce que devrait faire le gouvernement pour encourager l’industrie vinicole québécoise, il éclate de rire en déclarant : « Sortir du business du vin! On a 12 personnes qui travaillent pour nous, poursuit-il, elles ont toutes des familles, des hypothèques à payer, je ne suis pas juste responsable de faire du vin, je suis aussi responsable de ces familles, nous, on fait rouler l’économie. Si jamais l’entreprise n’existe plus, ça veut dire que 12 familles vont se retrouver à la rue. On ne veut pas de subventions ni de ristournes, laissez-nous faire du vin, pis le vendre .» Anthony Carone déplore « les bâtons » que le gouvernement tente de mettre dans la roue des producteurs avec toutes les contraintes formulées. « Moi, j’en ai assez d’entendre le monde me dire tu peux pas faire ça, je veux savoir qu’est-ce qu’on peut faire. C’est compliqué ? On parle deux langues au Québec, y’en a plus que ça au Québec.» Il déplore que ce soit plus compliqué de vendre un conteneur de vin à la SAQ (cela a pris deux ans) que d’en envoyer un en Chine (ça s’est réglé en un coup de fil). « Moi, si le gouvernement continue de me casser la tête, ajoute-t-il, moi, je vais trouver le marché ailleurs. » Pas étonnant que le créneau de la SAQ n’occupe qu’une petite partie de leur plan d’affaires…
Une vision
Carone est une entreprise familiale, mais aux dires du vigneron, elle est dirigée comme une grosse entreprise avec des actionnaires, des plans d’affaires où ils minimisent leurs risques. « Avec la technologie que notre entreprise a mis en place, on va changer les choses. Dans les 15 dernières années, on a changé les choses et on a planté des vignes vinifera. On fait ce qu’on appelle de la « disruptive technology », c’est d’amener de la technologie qui va forcer le changement ».
Ainsi ils ont consenti à investir 2 millions de dollars dans de l’équipement à température contrôlée dans le chai. Pas question de faire de l’agritourisme (le Québec n’a pas le climat qu’il faut comme en Californie où 300 jours de soleil donnent un sérieux coup de pouce à l’industrie) mais plutôt consolider l’exportation de leurs produits.
Des provocateurs qui dérangent
Comment le couple Carone-Hoodpsith est-il perçu dans le milieu vinicole québécois ? « Je pense que je suis innovateur, constate Anthony. C’est sûr que je dérange les choses. Si on veut créer une soupe, faut brasser un petit peu l’eau, un petit peu les choses pour obtenir un produit final accepté. Pourquoi faire toujours la même recette, c’est comme si on allait au restaurant et qu’on mangeait toujours la même chose, le monde commence à s’éloigner de ça, il commence à penser, oh moi le vin québécois, j’en veux plus parce que c’est toujours la même chose, il faut toujours s’adapter. » Il pense que l’industrie vinicole québécoise ne survivra après 5 ans si elle ne s’adapte pas aux changements, car il pense que la croissance va chuter. « Ça va prendre de la vision pour savoir ce qu’on veut faire, pas aujourd’hui, mais demain, parce que le présent, c’est déjà trop tard pour changer ». Un exemple à suivre selon le couple ? Celui de la région vinicole de Finger Lakes dans l’état de New York, où les vignerons ont choisi de faire d’abord le même vin tous ensemble (riesling). « Au Québec…Y’a personne qui dit on veut aller dans la même direction. Au Québec, on n’est même pas là encore à faire un style de vin, exactement le même, cultiver la vigne de la même façon, la vinifier de la même façon, la mettre en marché de la même façon, comme ça on se crée une identité pour la région avec un produit» Un choix pour commencer mais qui ne serait pas limitatif par la suite, puisque le riesling de Finger Lake ne représente que 10 % des ventes de vins.
Du pinot noir, de sangiovese et du nebbiolo…au Québec ?
Carone Wines est sans cesse tourné vers l’avenir. Le vigneron estime que d’ici 20 ans, le réchauffement climatique permettra de produire des vins très élaborés avec ce type de cépages. « Tout ce que j’aurai accumulé dans 20 ans, je peux les donner à mes enfants, comme ça ils pourront lancer le nebbiolo québécois. Pourquoi le pinot noir commence à marcher aujourd’hui, c’est parce que mon père a pensé à l’avenir, c’est lui qui a planté les premiers pinots noirs. Il m’a dit, toi tu vas bénéficier du premier pinot noir. »
Et l’avenir de l’industrie du vin québécois ?
« Il faut qu’on arrête de se chicaner les uns les autres, conclut Anthony Carone. Moi, j’ai ma vision pour régler les problèmes de l’industrie du vin québécois. On a tous le même bobo, mais on sait pas comment le guérir. Faudrait s’asseoir à table, se chicaner pendant 8 heures, partager une bonne bouteille de vin québécois et avancer. » Le gouvernement n’est pas la solution au problème, ajoute-t-il. « On peut toujours demander l’appui du gouvernement, mais les entrepreneurs dans le monde entier ne font pas ça. Les entrepreneurs vont dire, j’en ai assez d’attendre le gouvernement pour régler mes problèmes, je vais les régler moi-même. On doit tous se mettre ensemble. » Qui sait, un jour, on savourera peut-être le premier « Barolo » du Québec…
Et leurs vins alors ?
Ne vous attendez pas à trouver le nom Carone en majuscules et en évidence, ni même l’appellation Québec sur les étiquettes, le « packaging » est on ne peut plus discret et intriguant. Vendus à la SAQ (si si, quand même), vous trouverez quelques-uns de ces produits.
Bin 33
À base de frontenac, c’est un vin aux arômes de fruits rouges, avec quelques effluves de vanille, provenant du chêne et des notes épicées. Un vin de soif à boire rafraîchi.
Venice Cabernet Severnyi
Ce cépage, né d’un croisement créé en Russie, donne ici un résultat plutôt intéressant. Le nez est rempli d’arômes de fruits, de bonbon et de notes boisées. Le tout est bien équilibré et laisse une impression de satisfaction en bouche.
Venice Pinot noir
Évidemment, ce n’est pas un pinot noir conventionnel comme un bourguignon ou un oregonais. Mais il dégage des arômes subtils de fruits rouges, de sous-bois, aux notes florales et de fumée. Court en bouche, mais agréable.
Verita
Un assemblage de frontenac, marquette, landot noir, landal noir et cabernet severnyi, ce vin est seulement disponible au vignoble et dans certains restaurants (une stratégie marketing qui semble bien fonctionner selon les Carone ). Personnellement, c’est celui que j’ai apprécié le plus. Arômes de cerise, de fruits rouges et de poivre. Facile d’approche, jolis tanins gouleyants.
Sachez que le domaine produit aussi des vins blancs et rosés. Pour écouter l’entrevue, c’est ici .