Le goût féminin, ça existe ?
Selon la croyance populaire, les femmes aimeraient des vins plus légers : bonjour pinots noirs, pinots grigio, rosés et mousseux. Est-ce que cette tendance existe encore ? Est-ce que le goût féminin existe vraiment ? Mythe ou réalité ?
Par Patricia Chagnon (pchagnon@hotmail.com)
Yolaine Masse ne s’est pas posé de question pour lancer son agence «Juste des bulles» en janvier 2017. Elle raconte que c’était «viscéral», elle n’a fait que jumeler ses compétences et ses intérêts : «Les bulles représentent la fête, l’heure du cocktail, les festivités». D’ailleurs à la question «y-a-t-il un goût féminin?», elle est sans équivoque, «c’est certain», elle le voit à la clientèle qui l’interpelle dans les salons de vins. Les mousseux sont les produits de choix pour les femmes. Par contre, elle ajoute rapidement que les hommes s’y intéressent de plus en plus. Certains troquent même la bière pour le mousseux.
Jessica Harnois qui a lancé «Vins au féminin», une agence d’animation en sommellerie composée uniquement de femmes partage l’opinion de Yolaine Masse concernant les bulles… mais pour le reste, elle se garde une petite gêne : « Oui c’est sûr qu’on peut aller dans les clichés, les rosés, le pinot grigio,… mais il y a beaucoup de gars qui adorent prendre ça en apéro donc c’est ça qui vient mélanger un peu ma façon de voir les choses. »
Un goût tout en nuances !
Celui qui dit qu’il est né dans une cave à vin à Bruxelles et qui comme Obélix est tombé dans la potion magique dès son plus jeune âge, Noël Fourcroy, de l’agence d’importation privée Sélections Oeno, est d’avis qu’effectivement il y a des vins qui sont plus féminins, avec des fruits plus frais, des vins plus élégants avec des trames sucrées sans agressivité, on recherche le côté juteux du vin et on évite le côté tannique. Jessica Harnois ajoute sa touche : «les femmes aiment un fruit mûr mais de plus en plus quand ça goûte trop «Kool-Aid» elles n’aiment pas ça.»
Les deux spécialistes sont d’avis que les femmes influencent la culture du vin et que l’industrie (agences et vignerons) s’adapte au goût des femmes. Noël Fourcroy nous rappelle que les bulles, les rosés ont énormément évolué depuis quelques années : «c’est définitivement un syndrome des femmes avec Brad Pitt, producteur du Château Miraval…après il y a le star système qui va avec. »
La vigneronne française du Languedoc Brigitte Jeanjean pense que les œnologues mettent de plus en plus une touche plus délicate ou un peu plus ronde en bouche, plus souple : «Moi par exemple je n’aime pas le bois, je ne veux pas que le bois domine les arômes, je ne veux pas boire du jus de planche, je veux de la subtilité. » Selon elle, de plus en plus, les consommateurs, pas seulement les femmes, veulent déguster le fruit et sentir le terroir.
Un comportement étudié
Y-a-t-il un goût féminin en 2017? Jean-Yves Deü, gérant du restaurant corse « Petits Creux Grands Crus » à Québec, pense que non. Il n’y a que des habitudes de consommation selon lui : «On vend autant de blancs que de rouges pour les femmes. Très peu d’alcool ou de bière. Selon la soirée ou la saison, les femmes aiment le rosé, mais on a quand même un rosé ouvert à l’année. Je ne pense pas qu’il y ait un goût féminin, les femmes vont plus facilement se laisser aller à essayer de nouvelles choses. »
Noël Fourcroy confirme la tendance : « Les femmes consomment plus de vins qu’avant et aujourd’hui dans les bars, les hommes prennent de la bière et les femmes, du vin. La majorité du vin est consommé par les femmes. Aussi la façon de consommer est différente. Les femmes vont boire du vin seules, pas nécessairement en accompagnant un plat. Dans un bar, les femmes vont chercher un vin plus blanc, plus « auto-suffisant », moins chercher une acidité, on n’a pas la nourriture pour l’accompagner et donc on va chercher ce petit côté sucré pour structurer le tout.» Elles boivent moins, pour des raisons physiques évidentes et donc elles sont plus exigeantes.
Donc il y a bel et bien un goût du vin féminin mais en changement, selon Noël Fourcroy : «les femmes sont plus éduquées en vin qu’avant et je pense que c’est générationnel. Ça veut dire que les femmes de maintenant sont beaucoup plus au courant, tout comme l’homme « millénial » aussi. Toutes les personnes qui sont nées en 1980 et plus récemment ont énormément de connaissances, elles savent ce que c’est qu’un cépage. Pour les autres générations, il y a aussi beaucoup d’intérêts, il y a une évolution.»
Des goûts changeants
Les goûts des hommes et des femmes changent. Jean-Yves Deü l’observe au jour le jour : «Pour quelles raisons? Les salons des vins qui sont populaires… Les réseaux sociaux, il y a des agences d’importations privées sur les réseaux sociaux et il y a plus de visibilité sur les produits. »
C’est aussi l’opinion de cette amoureuse des bulles, Yolaine Masse : « Tout évolue et rapidement. Beaucoup d’informations sont disponibles sur internet et les réseaux sociaux qui fait qu’il y a de plus en plus d’intérêt et c’est pas pour rien que la SAQ essaie de rentrer de nouveaux produits et les pastilles de saveurs parce qu’ils veulent intéresser les gens à goûter autre chose. » D’ailleurs, son agence présentera en 2018 à la SAQ un nouveau produit avec un contenant pour le moins original… du mousseux en canette de l’Ontario pour les femmes autant que pour les hommes : « Pourquoi? Pour n’en prendre qu’un verre sans ouvrir une bouteille complète et de perdre l’effervescence, dit-elle, c’est parfait pour les pique-niques, les bords de piscine, on les met dans un « cooler »… on peut l’amener n’importe où. » Elle est d’avis que ce produit attirera une clientèle plus jeune. « Ce produit va être intéressant pour les nouveaux consommateurs qui ne veulent pas boire de la bière. Une première clientèle de consommateurs peut-être.»
Une façon différente de consommer
Si l’homme a tendance à collectionner des grands vins, la femme, elle, recherche davantage l’expérience selon Jessica Harnois : «Les femmes en général c’est plus des moments de vie mais elles ne vont pas partir à la recherche de produits huppés. C’est différent, les gars vont aller plus s’informer, « googler », les filles il faut que tu gagnes leur palais, c’est spécial ça, le prix ne les affecte pas, la notoriété d’un produit pas tant que ça, il faut que ça leur plaise. C’est la bouche qui parle tandis que les hommes oui le produit doit être bon en bouche mais aussi ils vont s’informer, c’est plus le style d’un gars de dire j’ai entendu parlé de ça. Les filles c’est rare que j’entends ça, c’est wow j’ai vraiment aimé, c’est du bouche à oreille… mais les deux s’affirment énormément. Ils sont de plus en plus connaisseurs.»
Et dans 10 ans?
Dans 10 ans, Jessica Harnois en est certaine, on ne parlera plus de goût féminin ou masculin : «Il y aura toujours des grandes tendances, des grands courants, mais je pense que ça va être plus unisexe.» Les femmes ont donc un goût vinicole qui s’affine, change, évolue, qui est plus aventureux et moins traditionnel. Les hommes eux aussi changent et s’intéresseraient un peu plus aux choix des femmes ? Pour finalement forcer la création d’un goût plus uniformisé ? C’est à suivre. Et vous qu’en pensez-vous ?
moi j’ai répondu ici
Le goût féminin n’existe pas?
Je vous ai demandé votre opinion et vous me l’avez donnée. Merci beaucoup pour tous vos commentaires. Il n’y a rien de mieux qu’un bon débat accompagné d’un bon verre de vin pour refaire le monde. Sauf qu’une opinion venue de l’autre côté de l’Atlantique me laisse perplexe. En lisant la réponse de la bloggeuse, en raison de son expérience dans le domaine du vin, je m’attendais à un peu plus de nuances, de rigueur et de respect envers tout ceux et celles qui aiment le vin.
Tout en nuance
S’il est écrit «croyance populaire» dans l’article, c’est parce qu’effectivement, ce cliché du vin féminin, fondé ou pas, demeure. Ce n’est pas la vérité absolue, mais elle m’a guidée dans le choix d’écrire ou non sur ce sujet. Un sujet qui me passionne puisque je m’intéresse depuis plusieurs années au vin. Les personnes de l’industrie rencontrées par la suite m’ont toutes confirmé qu’il y a bien eu des préférences féminines, mais que ces différences s’estompent avec le temps. Pourquoi avoir focalisé sur ce que les femmes boivent? Parce que dans un domaine qui est reconnu comme ayant été presque exclusivement masculin, une femme est en droit de se poser cette question.
Rigueur
Effectivement, quand la chroniqueuse fait référence à deux citations, elle les attribue à la même personne, ce qui n’est pas la réalité du texte puisque je fais référence à deux personnes différentes. Par ailleurs, selon le gérant du restaurant, c’est évident que ce ne sont pas toutes les femmes qui ne boivent que du blanc, mais dans ce restaurant, le gérant explique que les femmes boivent plus de vin et de vins blancs par surcroît. Il doit savoir de quoi il parle! Ce n’est pas une exégèse du phénomène, mais des constats observés sur le plancher des vaches, un plancher que ne doit pas souvent fréquenter notre « caviste élitiste », qui s’émeut du vin nature et qui détruit toute opinion qui va à l’encontre de ses idées reçues.
Respect
Les femmes boivent-elles moins que les hommes? Pas toujours, effectivement et on en a le droit. Par contre, en général, les femmes sont plus petites que les hommes et nous n’avons pas le même métabolisme que les hommes, pas la même corpulence… mais bon je respecte son opinion.
La bloggeuse voulait plus de statistiques, mais elle-même n’en a pas donné. C’est vrai qu’elle fait référence à plusieurs études mais une seule est mise en ligne qui, par ailleurs, a plus ou moins la même conclusion que mon article.
Je ne voulais pas faire de la psychologie à 5 cents en parlant des femmes qui s’empêchent de boire ce qu’elles aiment vraiment pour ne pas mal paraître ou pour ne pas grossir (ce que la bloggeuse suggère),
ce n’était pas le sujet de mon article. Je voulais juste parler du goût féminin qui justement évolue depuis plusieurs décennies au Québec et continuera à évoluer, comme celui des hommes d’ailleurs. Je pense que les femmes d’aujourd’hui s’assument et dépassent ces clichés psychologiques que la bloggeuse a énumérés dans son commentaire.
Finalement, un peu plus de respect vis-à-vis du « vrai monde » dont je fais partie serait apprécié. J’ai l’impression que la chroniqueuse se laisse aveugler par ses connaissances du vin et en oublie ceux et celles pour qui elle fait ce métier. Et après tout, la bloggeuse n’a-t-elle pas publié «Perles de caviste» où elle se moque allègrement de ceux, parmi sa clientèle, qui ne connaissent pas suffisamment à ses yeux, le vin?
Un conseil, madame Goevaerts : prenez une gorgée d’un bon rouge corsé et relisez l’article, surtout la fin, car nous en arrivons à peu près à la même conclusion : qu’il n’y a plus de goût féminin ou de moins en moins, que les femmes sont beaucoup plus éduquées en matière de vin, que dans un restaurant elles achètent plus de vin (blanc et rouge) et que les hommes aussi affinent leurs goûts. Au plaisir de partager votre rouge corsé l’été prochain à Bruxelles, si vous me le permettez évidemment. À votre santé! Et sans rancune…vraiment !
Patricia Chagnon, auteur de « Le goût féminin, ça existe ?